Tueur de Krabes
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Localisation: Bah tiens, devant mon écran, quelle question ! ...
Fan-Fiction #2
A vrai dire, quand j'ai écrit le Chapitre I, c'était juste parce que j'avais envie de décrire un moment comme ça. C'était tout formé, j'ai plus eu qu'à formuler.
Et puis j'ai eu envie d'écrire un autre paragraphe. Mis bout à bout, ils formaient un début d'histoire.
Quand j'ai fini ce chapitre, il s'était encore rien passé, je savais pas quel problème introduire. J'avais aucune idée.
Alors j'ai essayé, rayé, me suis dit pourquoi pas, et finalement je les ai mis dans une situation si désespérée que je sais pas comment ils vont s'en sortir... J'avais même pas prévu que Yumi se rate en prenant la corde. J'écris qu'elle arrive, qu'elle enjambe les derniers mètres, et puis, oh zut, elle tombe. Bon tant pis, je laisse comme ça...
L'histoire se passe un peu avant Mr Puck, Aelita fait encore ses cauchemars étranges et XANA n'a encore possédé presque personne (voire personne du tout il me semble).
Chapitre I
Pas de repos. Jamais.
La Lune éclairait faiblement le labyrinthe, cachée par des branches d’arbres flottantes. L’enfer de perspective, la prison de géométrie qui l’entourait de ses hautes falaises ne lui laissait que peu d’espace pour courir dans ses longs et tortueux corridors.
Mais ce n’était pas ce qui importait.
Un hurlement retentit. Il ne déchira pas l’atmosphère, pas plus qu’il n’explosa à ses oreilles. C’était une plainte grave qui s’élevait, une lamentation montante qui résonnait dans tout l’endroit.
Elle leva les yeux. Juché sur une des corniches rectilignes, elle l’aperçut. Il la regardait. Ses deux yeux oranges dans lesquels dansait un petit éclat sournois se braquèrent sur elle. Derrière elle, d’autres loups hurlèrent à la mort, avant de projeter leur ombre menaçante sur la façade devant laquelle elle se situait.
Paniquée, elle se remit à courir, enchaînant les foulées sans s’arrêter, les yeux fermés contenant à peine ses larmes et n’enregistrant pas la valse des nuances marines qui défilaient autour.
Au détour d’un couloir, elle se retrouva nez à nez avec un cul-de-sac. L’issue derrière elle claqua violemment et elle se retrouva enfermée.
Seule.
Les contours hésitants de la pièce lui vinrent à l’esprit plus qu’elle ne les devina. Puis un froissement la tira de sa solitude.
La lumière revint soudainement. Au centre de la salle cyan, la dominant de toute sa hauteur, flottant paisiblement assez haut pour ne pas laisser traîner ses tentacules sur le sol, la sphère aplatie et transparente qui lui tenait lieu de tête, arborant comme un insigne l’œil maudit de son ennemi, elle l’attendait.
Paralysée, elle la laissa s’approcher. Deux appendices incolores se collèrent à ses tempes. Un troisième vint s’accrocher à son front, pour la soulever de terre.
Dans un bruit de succion, des bulles de feu s’échappèrent de sa tête pour traverser les bras visqueux de la créature. Alors que ses forces semblaient partir avec cette pâte épaisse, tout chavira lentement dans l’obscurité.
Dans le silence.
« NON ! »
Elle se redressa. Le brusque mouvement tira les draps, achevant ce que les soubresauts agités de son cauchemar avaient entamé.
Assise sur son lit, ses yeux exorbités, sa respiration haletante, elle soupira, rattrapant à temps sa tête si lourde à deux mains.
Cela fait, elle put constater combien son front était moite. Après un autre soupir, elle se rendit compte qu’elle suait de tout son corps, collant ses vêtements d’une manière on ne peut moins agréable.
Pour la première fois depuis son réveil, elle inspira par le nez. Ses paupières se refermèrent, laissant ses yeux retrouver progressivement un état normal.
Distinguant des reflets dans le miroir du mur d’en face, elle put constater le désordre de ses cheveux qui n’étaient déjà pas superbement coiffés d’ordinaire.
Tournant la tête pour regarder le bureau, elle vit la masse sombre du téléphone portable à portée de main.
Attrapant l’objet, dont l’écran scintilla de vert à son contact, elle vit la série de chiffres dont la seule signification qu’elle pouvait leur accorder était que le soleil n’allait pas se lever avant un très long moment.
Elle s’affala sur son lit et se recroquevilla. Il lui fallait dormir. Pourtant, ses visions l’assaillaient à chaque fois que ses yeux se refermaient.
Elle se changea de position.
Puis elle recommença.
Une fois encore.
Dix minutes passèrent à s’agiter pour trouver le sommeil. N’y tenant plus, sachant qu’elle ne pourrait fermer l’œil sans cauchemarder, elle se leva.
Avançant à pas de loups jusqu’à la porte, elle abaissa doucement la poignée et fit pivoter les gonds dans le silence le plus total.
Passant une tête prudente par l’entrebâillement, elle s’assura du calme du couloir.
Avec les mêmes précautions, elle passa derrière la porte et la referma.
Tentant d’ignorer l’oppressante obscurité du bâtiment, elle trotta tout le long de l’étage pour arriver devant la chambre de Jérémie.
Car s’il y avait quelqu’un qui pouvait lui faire oublier ses rêves horribles, c’était bien lui. S’il y avait quelqu’un qui réchaufferait son cœur glacé par l’angoisse, c’était bien lui.
Une nouvelle fois, l’agaçant point d’exclamation écarlate tourna lentement sur lui-même, entouré de son anneau.
Une nouvelle fois, il avait raté sa tentative.
La découverte de cette interface sur le Nouveau Territoire pouvait bien receler tous les secrets sur XANA et l’anti-virus d’Aelita, ça ne l’empêcherait pas de passer ses nuits à tenter de trouver un remède.
Depuis que la jeune fille avait été matérialisée sur Terre, bien que sa compagnie réelle fut le plus grand des bonheurs, il devait bien reconnaître que leurs discussions à la dérobée, chacun de son côté de l’écran, lui manquaient. Un petit pincement le saisissait quand il allumait son ordinateur et qu’aucun visage ami ne lui souriait, survenu d’une fenêtre aussitôt ouverte.
Bien sûr, Aelita n’était jamais loin : Elle dormait tranquillement dans une des chambres dans l’aile de l’établissement réservé aux filles. Mais c’était dans cette clandestinité qu’ils avaient eu leurs conversations les plus intéressantes et souvent, les plus intimes. En plein jour, dans l’enceinte du collège, de surcroît, cela changeait du tout au tout.
Un grincement étouffé survint derrière lui.
Tournant la tête, il aperçut un visage aux cheveux chatoyants se tenir derrière la porte.
- Aelita ? chuchota-t-il, couvrant sa surprise. Qu’est-ce que… Tu ne dors pas ?
La jeune fille secoua la tête de droite à gauche.
- Allons, ne reste pas dans le couloir… Entre. Viens t’asseoir, fit-il tout bas en désignant d’un signe de tête son lit qui n’avait plus supporté son poids depuis quelques jours.
Reconnaissante, elle referma la porte et se posa doucement sur les couvertures, tête basse, regardant fixement ses chaussons.
- C’est… C’est tes cauchemars, encore ?
Hochement affirmatif.
Elle prit la parole, d’une voix hésitante, où une petite note chevrotante tentait de percer une brèche.
- Je… C’est que… Jérémie, chaque nuit… J’n’en peux plus… Toujours la même chose…
A cet instant, de petits haussements d’épaules furtifs, accompagnés d’une goulée d’air spasmodiquement avalée, la fit trembler de tout son corps. Sa voix prit des tons plus aigus et s’entrecoupa de sanglots difficilement contenus.
- J-Je ne comprends pas… c-c-ce que ça veut dire… Est-ce que… J’ai peur, Jérémie, j’ai très p-p-peur…
Au moins aussi confus qu‘elle, il lui glissa quelques mots de réconfort, tous aussi inutiles que maladroits, lui semblait-il.
Quand la première larme s’échappa de ses yeux mi-clos, d’autres ne tardèrent pas à suivre. Il devait la consoler. Posant son index sur sa joue, il remonta jusqu’à son œil pour essuyer le mince ruisseau de chagrin.
La voyant esquisser un pâle sourire, il appliqua doucement sa main chaude sur son visage. Soupirant d’aise, Aelita pressa sa tête sur son épaule, coinçant gentiment la main de son ami.
Il l’attira à elle, sans rencontrer aucune résistance. Elle vint se plaquer contre lui, passant ses bras derrière lui et appuyant sa tête contre la sienne.
Enlacés, le temps sembla être une notion d’un autre monde alors qu’ils se berçaient à un rythme lent et imperturbable.
Jusqu’à ce qu’ils s’endorment paisiblement dans leur embrassade.
Il sentit quelque chose sauter sur lui.
La chose sembla parcourir le lit de long en large, tourna en rond, et enfin, se laissa tomber de tout son poids derrière ses genoux à demi-pliés.
Entrouvrant les yeux, il s’aperçut que derrière leur forêt de cils bruns pointait la lumière du jour. Sortant une main engourdie de son drap, il le tâta pendant une poignée de secondes avant de tomber sur une masse couverte de poils rêches qui formaient des grappes par endroits abondamment léchés.
Une suite de mouvement se fit percevoir, puis une petite langue humide mais râpeuse s’occupa de toiletter soigneusement chaque centimètre carré de sa main.
Prenant son inspiration, il poussa un soupir mi-exaspéré, mi-ensommeillé. Puis il se redressa et ouvrit un œil. Kiwi le regardait de ses petits yeux curieux et la petite queue dont il était doté frétillait d’impatience. De l’autre côté de la pièce, Odd lui tournait le dos, couché sur un côté, ébouriffant encore plus sa mèche déformée par la nuit.
Enlevant les deux morceaux de coton oranges qui obstruaient ses oreilles, il constata avec ravissement que le seul bruit qui l’atteignait était le chant des rares oiseaux qui n’avaient pas quitté le petit bois du parc en ce mois de Janvier.
Consultant sa montre posée sur sa pile de vêtements grossièrement roulés en boule au pied du lit, il décida qu’il était temps de faire un tour au réfectoire pour prendre le petit déjeuner. S’habillant sans grande frénésie, il jeta un coup d’œil à Odd qui se retourna une ultime fois dans son sommeil pour lui faire face. Ouvrant ses paupières, il bailla bruyamment à la vue d’Ulrich qui était déjà prêt à descendre.
- Eh ! héla ce dernier. Oh, la marmotte ! C’est un peu tard pour entamer une hibernation !
Grognements.
- Lève-toi, Odd… Bon, je descends, on s’retrouve au réfectoire, OK ?
Nouveaux grognements. Mettant fin à ce qui ressemblait fortement à un monologue, Ulrich ouvrit la chambre et sortit. Autour de lui, des portes révélaient derrière elles des élèves ébouriffés dont la tête dodelinait au gré d’une marche digne d’un revenant. A la vue de tous ces pensionnaires mal réveillés, il ne put réprimer un bâillement. Secouant vigoureusement la tête et se frottant les yeux, Ulrich mit fin à la dernière étape de son réveil et amorça la descente. Des courants d’air glacés, déboulant sournoisement aux tournants de l’escalier, achevèrent la tâche.
Un gel discret était parsemé sur le goudron de la cour et transformait les flaques d’eau en patinoires réduites. Aucun élève, si peu éveillé qu’il fut, n’oublia de les contourner.
Poussant la poignée glacée du restaurant, il se dirigea vers la file d’attente qui n’étaient pas encore trop longue, étant donnée l’heure plutôt matinale. Remplissant son plateau d’un bol de lait chaud, d’une coupelle de céréales brillants à la lumière des néons et d’une brioche miraculeusement tiède, il se dirigea vers l’une des nombreuses tables libres. Saisissant son croissant, il le trempa distraitement dans le bol tandis que son regard se promenait au-dehors.
Au-dessus du toit du collège, le ciel était couvert d’une épaisse couche de nuages uniformément gris, sans aucune forme apparente, tel un voile fade tendu bien haut dans les airs.
Pas un oiseau ne venait jaillir du bosquet pour percer ce triste manteau. Seule la cour montrait des couleurs indistinctes par les vitres embuées du réfectoire, témoins des rares pensionnaires hors des chaleureuses couvertures de leur chambre.
Alors qu’il persistait à noyer la brioche désormais totalement imbibée, ses pensées dérivèrent au gré de l’imperceptible courant des nuées pour parvenir finalement à Yumi.
Son image s’imposait dans son esprit dès qu’il ne se concentrait plus sur quelque chose, mais en fait, même lorsqu’il était occupé, elle restait toujours dans un coin de sa tête, comme une chanson qui persistait à demeurer dans votre cerveau, et cette chanson là, c’était un chant doux, recelant une tiédeur apaisante quand il se la récitait, parvenant à lui faire oublier tous ses soucis, toutes ses préoccupations.
Quand il se représentait Yumi, il n’imaginait pas de décor autour d’elle, il la voyait, simplement, drapée de noir jusque sur les bords de son visage encadrés par deux chutes de cheveux souples, esquissant un sourire timide derrière son expression d’extrême sérieux, ses yeux naturellement en amande semblant encore plus plissés sous l’effet d’un bonheur profond.
Une tâche blonde surplombant une forme mince et allongée de couleur violette se détacha de l’ensemble confus derrière la fenêtre voilée et tira Ulrich de ses douces rêveries.
Comme elle se rapprochait, la porte du réfectoire s’ouvrit pour faire apparaître un Odd à la mine exténuée. Mais Ulrich avait appris par expérience à repérer cette lueur fouineuse et malicieuse même dans ces regards apparemment peu vifs.
Pour preuve, il avait déjà repéré les denrées dignes d’intérêt, ne restant dans le parcours qui remplissait son plateau qu’une poignée de secondes. Il avait également déjà repéré son ami et vint à ses côtés.
- Bon au fait ? Tu m’as toujours pas dit si ça allait toi ce matin ! lui dit-il en guise de salut.
- Euh… Hein ? Tu m’as demandé quelque chose ? J’croyais que tu dormais encore…
- Ah évidemment, si t’as toujours pas appris le langage des grognements, après tout ce temps qu’on se connaît…
Ulrich mit un temps à comprendre le sous-entendu. Ce n’est qu’une seconde plus tard qu’un sourire blasé se forma sur ses lèvres. Avec Odd Della Robbia, il fallait toujours garder son esprit éveillé.
Même s’il n’était que 7 heures et quart d’un dimanche matin.
Lorsque le ronronnement de son ordinateur atteignit à nouveau ses oreilles, il se demanda s’il ne s’était pas endormi contre le dossier de son fauteuil.
Renonçant à bouger, il marqua un soupir plus profond. A l’inspiration suivante, il remarqua quelque chose. Une odeur qui, de toute évidence, ne provenait pas de son dossier. Ce n’était d’ailleurs pas une odeur.
C’était une sensation. Il inhalait un parfum qui l’empêchait de se réveiller totalement. La lumière du soleil contre ses paupières, le chant strident des oiseaux du bois, toutes ces choses faisaient partie d‘un second plan qu’il parvenait mal à distinguer.
Ce qu’il parvenait à sentir, c’était le contact de son support sur lui, la fameuse senteur, et… Une respiration ?
Alors qu’il se concentrait sur ce léger bruissement, il parvint à comprendre deux choses. Que son pseudo-dossier se soulevait et se rabaissait au gré d’un souffle très, très léger, d’une part, et que d’autre part ce même dossier s’appuyait autant sur lui qu’il s’appuyait dessus.
Une petite portion d’intrigue lui traversant l’esprit, il entrouvrit les yeux.
Si son œil gauche distinguait nettement le lit, surveillé par le regard coquin d’Einstein, le droit fut pris dans une mêlée de sourcils et de cheveux d’un rose vif.
Retrouvant ses sens aussi brutalement qu’un parachutiste est freiné dans sa chute, il sursauta légèrement.
Ce qui provoqua un soupir d’aise de la part de la jeune fille.
Décollant lentement, très lentement, sa tête de la sienne, il la retint et laissa doucement son menton se poser contre son pyjama tout aussi coloré que sa chevelure.
Aelita, cependant, avait dû sentir l’absence d’appui et ouvrit les paupières, révélant deux yeux verts complètement réveillés, hagards, qui se fixèrent aussitôt dans ceux de Jérémie.
Leurs joues d’empourprèrent immédiatement. Le garçon chercha désespérément quelque chose à dire pour atténuer l’embarras de la situation.
Sa confusion avait dû être tellement visible que l’adolescente pouffa de rire, la main devant la bouche. Plutôt que de s’en montrer plus gêné encore, il eut l’intelligence de rire à son tour et ils partirent tous deux dans un éclat qu’il aurait été difficile de briser.
Puis ils se regardèrent à nouveau, plus amusés qu’autre chose.
Jérémie jeta rapidement un coup d’œil que suivit Aelita à son radio-réveil qui indiquait 7 heures et 10 minutes.
- On va déjeuner ? proposa gaiement son amie, à son grand soulagement, car il se sentait incapable d’engager la conversation.
- Ou-oui, très bonne idée ! Euh, attends ! ajouta-t-il alors qu’elle s’en allait d’un pas allègre.
Il lui attrapa le bras.
Ils s’observèrent à nouveau.
C’était trop bête, se disait Jérémie. Toute une nuit presque magique, tout un merveilleux moment passé à ses côtés, si près l’un de l’autre, et devoir se quitter pour des raisons aussi futiles que partir déjeuner ?
Leurs pensées concordaient, car elle se retourna vers lui et le jeune homme lui prit l’autre main.
Malgré l’automatisme de ces derniers gestes, ils n’osèrent pas faire preuve du même mécanisme. Ils se retenaient, mais leur visage exprimait clairement à l’autre son accord, voire sa volonté.
C’est pourquoi inexorablement, toujours avec retenue, mais cette fois-ci pour faire durer l’instant, ils se rejoignirent dans un baiser fait de douceur, de tendresse. D’amour.
Ils ne se quittèrent plus. Il n’en était même plus question.
Presser délicatement leurs lèvres contre celles de l’autre, lui passer les bras autour de lui pour mieux le serrer, le garder près de soi, tout près, se blottir contre lui… Quoi d’autre dans la vie pouvait avoir plus d’importance ?
Vint le moment où ils se séparèrent. Ce ne fut pas immédiat.
Dans une ultime tentative de résistance, les lèvres s’accrochaient désespérément, glanant une autre embrassade, volant une dernière bise.
Tentant de rattraper leur échec, leurs yeux se croisaient, essayant vainement de rappeler l’autre.
Puis l’étreinte elle-même céda.
Sans autre expression sur son visage qu’un immense bonheur, sans autre regard qu’un intense désir à la couleur printanière, sans autre son qu’un grand soupir, elle s’en alla.
Jérémie ne la vit pas partir. Il voyait Aelita. Son visage rond, sa chevelure chatoyante, faisant ressortir l’émeraude de ses yeux.
Et puis la porte encore entrouverte. Avec sa chambre autour. Et l’ordinateur qui ronflait derrière. Et le brouhaha des élèves.
Le temps qu’il comprit que l’instant présent se composait de toutes ces choses, que l’adolescente avait depuis longtemps quitté la pièce, il s’écoula bien cinq bonnes minutes.
Secouant vigoureusement la tête, il se décida à bouger. Il commença à s’habiller, puis se rappela l’appareil qui grondait d’impatience, se précipita pour l’éteindre, trébucha sur sa chaussette à moitié enfilée, tomba tête la première dans son sac à dos, s’agrippant en dernier recours à son radio-réveil qui fut entraîné, débranchant l’ensemble des machines électriques de sa chambre.
Profitant du silence qui s’installa après le bruit sourd du réveil contre le parquet, il grogna vaguement quelque chose d’inaudible, puis sortit la tête du cartable. Rebranchant progressivement ses outils, il s’interrogea sur ce que l’ordinateur pouvait bien faire avant la coupure brutale.
Tout s’éclaircit. Et s’assombrit aussitôt. Il travaillait en réseau sur le scanner qui avait matérialisé Aelita. Il espérait ainsi trouver par quel moyen le virus s’était implanté au cours de la manœuvre.
Jérémie, depuis l’attaque des Kankrelats, veillait toujours à ce que les scanographes restaient bien toutes protections activées lorsqu’il ne s’en servait pas. Bien entendu, pour cette inspection, il avait dû désactiver ces boucliers.
Mais le génie décida qu’il s’en moquait. Dans son esprit encore mal éveillé, il se convainquit que pour une fois, XANA ne remarquerait rien, qu’il pouvait commettre des erreurs, et qu’il aurait bien le temps de tout remettre en place plus tard.
- Bon, ils sont court-circuités les deux là, qu’est-ce qu’ils attendent pour venir ?
Odd commençait à s’impatienter.
Entre son (très) petit déjeuner, dont le lait frigorifié lui avait donné la nostalgie de sa couette moelleuse (« T’avais qu’à t’lever plus tôt. », avait laissé échapper Ulrich), et l’adolescent au regard perdu quelque part où il ne pouvait certainement pas l’entendre qui lui tenait lieu de compagnon, il sentait le sommeil le regagner.
Ce ne fut que lorsque la brume sur la vitre laissa transparaître une forme tout de rose vêtue, qu’il se ressaisit. Effectivement, Aelita poussa la porte et lança un regard circulaire à la salle, arborant toujours cette expression égarée. Bien que Odd put remarquer que chaque jour elle prenait plus d’assurance.
Agitant la main en l’air, il attira son attention et elle sourit largement en le voyant. Elle se dirigea vers les buffets pour se servir, puis revint avec un plateau chargé d’un peu de tout, typique, selon lui, de l’élève naïf persuadé qu’il parviendrait à engloutir ce qu’un œil averti jaugeait comme des substances douteuses peu aptes à la consommation.
Ulrich, semblant toujours absorbé par la contemplation de la quatrième fenêtre du deuxième étage, marmonna quelque chose proche d’un salut. Le lui rendant avec plus d’enthousiasme, elle engagea la conversation.
- Vous allez bien ? Bien dormi ?
- Ouais, ça allait. Un peu court, ajouta-t-il en lançant un regard assassin factice au rêveur, mais ça allait.
- Plains-toi, n’empêche que t’as pas été réveillé par une boule de poils surexcitée qui prend ton lit pour son petit parcours de promenade…
- Aaaah, c’est donc à cause de lui que tu m’as réveillé… Ce chien ne nous cause vraiment que des problèmes, on d’vrait s’en débarrasser, franchement…
- Allons, Odd… s’inquiéta Aelita.
- Meuh non, j’plaisante ! rit-il. Et p’is, j’suppose que ce s’rait impossible de s’en libérer, il retrouvera son chemin. Pensez, c’est moi qui l’ai formé !
- Bien sûr… ironisa Ulrich, peu approbateur. C’est pour ça, sa manie de réveiller les gens…
- Ouais c’est ça merci, soupira Odd, piqué au vif.
Préférant détourner la conversation avant qu’elle ne prit des allures de compétition, il demanda :
- Et Jérémie alors ? Il arrive oui ?
- Oui oui, ne t’inquiète pas, assura Aelita. Il n’en a plus pour longtemps.
- Si tu le dis. T’es passé le voir ce matin ?
- Ou… Pourquoi ? se rectifia prestement la jeune fille, le rouge lui montant aux joues.
- Bah pour savoir s’il allait bientôt arriver, t’as bien dû aller l’voir, non ? interrogea Odd, dont le teint de son interlocutrice éveilla une petite note de soupçon dans sa voix.
- Ah non, enfin si évidemment mais… Eh, regardez ! Il arrive !
En effet, le garçon ouvrit bientôt la porte et ne tarda pas à repérer leur table. Ayant fait un court détour par les buffets, il s’assit à leurs côtés.
Décidé à ignorer la gêne d’Aelita, ce qui ne lui était pas coutumier, Odd participa à la discussion qui tournait sur des sujets badins tels que l’amusante prononciation de Mme Hertz ayant attrapé un rhume. Le genre de sujets dans lequel il excellait lorsqu’il s’agissait de rendre une situation risible.
Après un éclat de rire général, ils virent comme chaque matin entrer presque en triomphe Sissi qui sortait de la longue douche qu’elle s’autorisait chaque matin aux dépens des autres filles du collège. Arborant une mine hautaine sous sa coiffure rendue raide par l’abus d’eau, elle passa devant eux sans un mot, mais le simple fait de voir flanquée cette pimbêche pleine de suffisance de deux morts-vivants aux épaules basses et au regard las qu’étaient Nicolas et Hervé, déclenchèrent une nouvelle vague de gloussements.
A la réflexion, il n’aurait pas dû se montrer aussi sévère. Il aurait dû s’en rendre compte tout de suite. A présent que Yumi leur avait révélé son «problème», tous les indices de ce comportement qu’il avait jugé suspect auparavant semblaient lui sauter aux yeux.
Ainsi, sa fille était amoureuse… Par acquis de conscience, en tant que père responsable et soucieux de son bon épanouissement, Mr Ishiyama s’était tout d’abord demandé si, décidément, à 14 ans, Yumi n’était pas un peu jeune pour ce genre de choses…
Il décidait à présent de lui faire confiance. Son enfant avait toujours fait preuve d’une grande maturité, et bien que l’identité de l’heureux élu resta secrète, il pouvait être sûr que ce n’était pas le dernier m’as-tu-vu du collège.
Heureux élu… En observant attentivement la mère et sa fille, toutes deux assises en face de lui, plongées dans leur bol, Mr Ishiyama trouvait cette appellation presque ironique.
S’il y avait une chance pour que cette idylle fut partagée, le jeune homme devrait s’attendre à ce que cette relation ne soit pas de tout repos… Oui, Yumi avait le caractère de sa mère… Toujours à cacher ses sentiments.
Alors qu’elle relevait la tête de son récipient, il lui adressa un large sourire, presque attendri, tant elle lui rappelait son épouse.
Pour la cent-vingtième fois depuis 21 heures 15, l’espion le dérangea en ouvrant une fenêtre avec un bruit aigu. Depuis dix heures, le programme lui rappelait toutes les cinq minutes que les systèmes de protection du scanner n°3 étaient désactivés, lui faisant remarquer que c’était ainsi une porte ouverte pour s’emparer de la machine.
De sa longue expérience, fruit de multiples retours vers le passé, il savait qu’il s’agissait du jeune Jérémie Belpois qui tentait désespérément de comprendre la source du virus qu’il avait implanté en Aelita. L’une de ses plus grandes réussites. S’il avait pu faire preuve d’orgueil, il en aurait été fier.
S’il avait pu faire preuve de sentiments, peut-être y aurait-il eu plus d’actions dont il aurait été fier.
Pour la cent-vingtième fois, donc, il allait répondre d’un «Annuler» agacé, quand il remarqua que la teneur du message avait légèrement changé.
L’espion affirmait à présent que le scanner était coupé de toutes connexions extérieures. En somme, que Belpois avait laissé l’engin sans protection et, par-dessus tout, sans surveillance.
Ses fonctions logiques n’osant y croire, il décida d’attendre. Un quart d’heure après, le quatrième texte soutenait mordicus la troublante information. Il décida d’agir.
Fébrilement, un flux continu d’informations s’échappa de son centre de commande. Les liaisons se multiplièrent, convergèrent, renvoyant des données, analysant les possibilités, traitant des milliers de Mégabits par centième de seconde.
Les fichiers affluaient : Il les repoussait. Les demandes échouaient : Il les relançait. Un circuit chauffait : il enclenchait les mécanismes de refroidissement.
Au bout d’une demi-heure de travail acharné, tous les voyants indiquaient la totale réussite de la manœuvre.
Il n’y avait plus qu’une chose à déclencher : l’appât.
Il envoya quelques coordonnées faussées ou dépassées s’entasser dans une tour du Territoire Montagne. La proie n’allait pas tarder à se montrer.
Chapitre II
Plus rien à perdre.
Lorsque Jérémie revint dans sa chambre, il avait la larme à l’œil.
Odd avait une fois de plus démontré ses talents en matière de réplique cinglante alors que Sissi se montrait plus féroce qu’à l’accoutumée.
Alors qu’ils quittaient ensemble la cantine, ils s’étaient mis à discuter du devoir de Sciences qu’ils allaient rendre le lendemain. Inquiet, Ulrich avait demandé à Jérémie si le nombre de chromosomes standard dans le noyau d’une cellule était bien de 64, soit 32 paires de ces mécanismes organiques.
S’étendant sur la question, le génie avait cité intégralement le cours de Mme Hertz avant de rectifier Ulrich en lui avouant que le nombre de chromosomes était de 46.
Odd en avait profité pour que Jérémie lui expliqua pourquoi un troisième élément dans la 21ème paire ralentissait la progression du cerveau, en somme, en quoi consistait la trisomie 21. Le principe que quelque chose en plus n’augmenta pas les facultés mais les régressa lui était très difficile à comprendre.
Ravi de pouvoir parler de son domaine favori, les nano-sciences, il avait passé toute la montée des escaliers à démontrer, en long et en large, ce phénomène avec force métaphores car le vocabulaire d’Odd n’incluait tout simplement pas le tiers de celui de Jérémie, si bien qu’arrivé à l’étage, Le souffle du garçon était devenu haletant.
Au détour d’un couloir, ils avaient donc croisé la fille du proviseur. Pleine d’audace, elle avait à nouveau tenté d’approcher Ulrich dans une dangereuse manœuvre profitant de l’absence de Yumi.
- Oh ! Ulrich ! s’était-elle exclamé en haussant tellement le ton qu’il paraissait évident que sa surprise était feinte. Tu vois, où qu’on aille, on s’retrouve, c’est fou ça ?
- C’est à dev’nir fou, ouais… avait marmonné l’intéressé.
- Allez Ulrich, avoue-le, avait-elle avancé, avec un culot formidable. Tu me trouves mieux que les autres filles, n’est-ce pas, je sais que j’ai toujours eu quelque chose en plus sur les autres…
- Ca doit venir de ton 47ème chromosome, avait lança Odd, guilleret.
La plaisanterie avait de l’idée. Jérémie pouffa, ainsi que ses amis.
Mais Sissi, n’ayant pas compris l’origine des ricanements, avait continué sur la piste toute tracée qu’Odd lui avait préparée :
- Bah ouais tiens, sûrement ! Papa, ouais, le dirlo lui-même, m’a toujours trouvé une lueur d’intelligence dans le regard, quand j’étais encore gamine…
La vision soudaine d’un bébé habillé de la même manière que l’insolente adolescente, en train de loucher avec les mêmes yeux que les siens, un grand sourire béat aux lèvres, tentant péniblement de joindre ses mains pour applaudir, avait prit Jérémie d’assaut et il n’avait rien pu faire d’autre qu’éclater de rire.
La stupeur de la pimbêche avait incité les autres à le suivre.
Furieuse, frustrée de ne pas avoir compris, elle s’en était allée.
Maintenant, Jérémie était retourné dans la petite pièce, surveillée comme toujours par l’image en noir et blanc d’Einstein.
Rangeant quelques affaires qu’il avait éparpillées dans sa précipitation, il relança son ordinateur. Il était farouchement décider à reprendre son travail inachevé de la veille.
Par précaution, il lança un scan des tours sur Lyoko, bien qu’il frémissait d’impatience de passer à la recherche de l’anti-virus. Aussi sa première réaction fut de sursauter lorsque le programme s’interrompit en émettant quelques signaux d’alerte.
Incrédule, il écarquilla les yeux sur les coordonnées de la tour infectée. C’était un monument du Territoire Montagne, située à l’extrême Nord de l’endroit.
Il pianota fébrilement pour découvrir le maximum possible sur l’opération de cette tour. Etrangement, elle était emplie de données d’anciennes intrusions, de projets abandonnés, mais aucun fichier sur une attaque quelconque.
Jérémie hésita. Il ne pensait pas que XANA eut jamais eu besoin d’utiliser un de ces piliers comme évacuation de programmes indésirables.
Il pensa alors à la possibilité d’un piège. La maléfique Intelligence Artificielle courait toujours après la mémoire d’Aelita. Mais pourquoi avoir attendu maintenant ? C’est un traquenard qu’il aurait très bien pu tenter avant.
Perdu dans ces suppositions, il tourna frénétiquement la tête lorsque Ulrich passa le seuil de sa porte.
- C’était pour le devoir de Sciences, commença le visiteur, j’étais pas sûr de…
Mais en voyant l’image clignotante de l’œil écarlate, il se tut.
- XANA est passé à l’assaut ? s’enquit-il.
- Je ne pense pas… fit Jérémie. On aurait dû se rendre compte de quelque chose, non ? Il n’y a aucune trace d’attaque… J’ai beau vérifier, je n’y comprends rien.
- Quel intérêt d’infecter une tour si c’est pas pour nous agresser ?
- J’ai pensé… avança le garçon, que ça pouvait être un leurre pour nous attirer sur Lyoko et prendre la mémoire d’Aelita.
- Alors qu’on serait tous sur le pied de guerre et prêts à combattre… ?
- Justement, je comprends pas sa stratégie…
- Jérémie, qu’est-ce que… amorça la voix d’Aelita qui apparut aussitôt. XANA a activé une tour ?
- C’est ce que j’étais en train de dire à Ulrich… Il n’y a pas signe du moindre fichier relatif à une offensive contre nous, on dirait qu’il s’est juste débarrassé de quelques données périmées…
- De toute façon, trancha la jeune fille d’un ton décidé, si une tour tombe sous son contrôle, il faut la désactiver, quelle que soit la nature de ce qu’il y a entreposé. Tu es d’accord ?
- Euh… Eh bien… bafouilla Jérémie qui se sentait beaucoup moins sûr de lui après l’évidence prononcée par son amie. Peut-être que c’est pour t’attirer sur Lyoko et te voler ta mémoire…
- Ca serait très mal calculé, affirma Aelita d’une voix convaincue. C’est trop grossier comme piège…
- Justement ! s’écria le génie, à court d’arguments. Il doit avoir bidouillé quelque chose depuis la dernière fois…
- Comment aurait-il fait ? Jérémie, je ne vois vraiment pas où ça le mènerait. Il n’a même plus le bénéfice de l’effet de surprise, maintenant.
Jérémie resta un moment silencieux.
- Bon… Je suppose que tu as raison. On va chercher Odd.
Yumi soupira.
C’était une nouvelle matinée d’un long week-end qui lui semblait aussi désagréable qu’un exil. C’était une pensée ingrate pour sa famille, mais elle se sentait souvent mieux avec Ulrich, Aelita, Odd et Jérémie, discutant de tout et de rien, de Lyoko, que seule dans sa chambre, à attendre tristement la nouvelle semaine.
Bien sûr, ses parents étaient merveilleux. Ils ne lui avaient jamais rien refusé, et en contrepartie, elle avait toujours été honnête et rarement capricieuse envers eux. Même le «problème» qui les avait contraint à l’accompagner au collège comme une fugueuse s’était rapidement résolu.
Bien sûr, elle passait d’agréables moments en compagnie d’Hiroki, plaisantant, jouant, même lorsqu’ils se chamaillaient pour des motifs futiles.
Mais voilà, il y avait, et elle ne pouvait s’empêcher de penser, avec un pincement dans la poitrine, qu’il y en aurait encore souvent, des moments où ces quelques remèdes à sa solitude l’abandonneraient. Qu’elle se retrouverait seule, face à la fenêtre, observant les nuées incolores d’un ciel sombre. Qu’elle ne pourrait plus chasser le sentiment de morosité qui lui arrachait des soupirs chargés de mélancolie.
Qu’elle songerait à celui qui, à lui seul, pouvait rallumer le feu de son bonheur, pouvait balayer de son regard intense les obscures méandres de sa tristesse. Qu’elle verrait son air secret, son mystère, se refléter dans ses yeux bruns.
Qu’elle regretterait, enfin, de ne pas être avec Ulrich dans ces instants-là.
Lorsqu’elle saisit sa trottinette, elle ne frappa pas frénétiquement du pied pour se donner de la vitesse. Ulrich et Odd la devançaient, eux aussi roulaient tranquillement, se contentant de rétablir leur équilibre alors qu’ils penchaient un peu trop d’un côté.
A cette faible allure, elle songea à la teneur de cette infection. Bien qu’elle fut décidée à nettoyer la tour dans les plus brefs délais, elle ne pouvait ignorer que les soupçons de Jérémie avaient peut-être un fondement.
Ne parvenant pas toutefois à aboutir à une conclusion logique, elle suivit ses trois comparses pour atteindre les échelons d’une des rares issues de ce souterrain.
Ulrich ayant déplacé la plaque, un rayon de lumière des plus aveuglants, dû à l’éclat du soleil derrière les nuages chargés d’eau, frappa ses yeux qui s’étaient réhabitués aux ténèbres des égouts. Accrochée aux échelons d’une main, elle se cacha de la lueur, les yeux toujours plissés.
Apparemment décidée à ne pas se presser, la petite troupe qu’ils formaient traversa tranquillement le pont pour parvenir à la vieille usine.
Contraints de se donner un peu d’élan, ils glissèrent rapidement le long des cordes et se réceptionnèrent aussi bien que leur permettait les jambes d’adolescent frêles qui les supportaient. Ils entrèrent dans le monte-charge, laissant le rideau métallique descendre lentement mais sûrement jusqu’à leurs pieds.
Une secousse, puis la cabine bougea, s’enfonçant dans les profondes galeries de l’usine.
L’appareil s’ébranla tandis que les panneaux de sécurité coulissaient suite au code chiffré qu’il venait d’entrer. Il sortit d’un pas anxieux sans même adresser un regard à ses amis qui poursuivirent leur descente jusqu’à la salle des scanographes.
Depuis l’ordinateur qui trônait dans la salle, la carte holographique de Lyoko tournant lentement sur elle-même derrière, Jérémie ne put que constater la véracité des données obtenues depuis sa machine.
Un curieux sentiment de malaise au ventre, il se connecta aux scanners.
Un message s’afficha de lui-même, frappant le génie au creux de l’estomac.
Lancement de la procédure pré-enregistrée en cours…
Jamais de sa vie Jérémie n’avait fait suffisamment confiance à l’automatisme de ces engins pour les laisser effectuer l’action suivant une demande déjà confirmée ! Il avait toujours préféré lancer les manœuvres manuellement !
Malheureusement, ce n’était pas fini. Un autre texte apparut, plus alarmant encore :
Procédure en cours.
Scanner n°1
Transfert : Aelita
Coordonnées : Territoire Banquise, Latitude 30° Ouest ; Longitude 27°Nord
- Mais c’est pas du tout ça !!! s’écria-t-il, affolé. Aelita, sors de là ! … Non elle peut pas… Oh, qu’est-ce qu’il y a encore !
Les statistiques des deux autres scanners s'étalèrent sur l’écran.
Scanner n°2
Scanner : Ulrich
Scanner n°3
Scanner : Odd
Jérémie renonça à trouver la raison pour laquelle les deux appareils n’avaient pas effectué la phase de Transfert. Elle était pourtant obligatoire pour transférer quelqu’un sur Lyoko sans risque de le voir tomber dans la Mer Numérique !
Alors que la même étape commençait pour Aelita, il fut frappé d’horreur lorsque s’affichèrent les notes suivantes :
Scanner n°1
Scanner : Aelita
Scanner n°2
Suppression : Ulrich
Avancement de la procédure de division cellulaire : 0.035 %
Scanner n°3
Suppression : Odd
Avancement de la procédure de division cellulaire : 0.051 %
L’ordinateur était tout bonnement en train d’effacer ses amis !
Agité de tremblements convulsifs, se tournant désespérément vers chaque composant de la salle comme s’il allait l’aider à tout arranger, il se mit à imaginer l’inexorable avenir qui semblait planer au-dessus de lui en ricanant.
Scanner n°1
Virtualisation Aelita : Succès.
Aelita ! Si aucune tour ne recelait les données de cette attaque, l’interface du Cinquième Territoire s’en chargerait ! Et elle était la seule à pouvoir récupérer ces fichiers mortels.
Malheureusement, elle était déjà aux mains de deux groupes de Blocks qui la cernaient, attendant solennellement l’arrivée de la Méduse.
Il ne restait alors qu’une seule carte à jouer.
Chapitre III
Vitesse et Précipitation.
Un bourdonnement aigu se fit entendre, la tirant de ses méditations.
Tournant brusquement sa tête appuyée contre la vitre froide, elle vit le petite masse noire de son téléphone portable vibrer.
Sans perdre un instant, elle s’en alla de son observatoire, apercevant du coin de l’œil la buée se reformer derrière son souffle sur la vitre.
Elle décrocha aussitôt, trop pressée de savoir si elle devait s’attendre à une aventure trépidante sur Lyoko ou à une invitation au cinéma par William.
- Yumi !
La voix affolée était celle de Jérémie.
- Que… commença la japonaise.
- Pas l’temps ! J’ai besoin de toi à l’usine, tout de suite ! Là ! Maintenant ! VITE !
Elle ne put répondre tant la frénésie de son ami était alarmante.
Marquant une pause au son répété déclenché lorsqu’il eut raccroché, elle se remua, secouant fébrilement la tête pour s’éclaircir les idées.
Tout en dévalant à vive allure les escaliers, la multitude de catastrophes possibles et imaginables affluèrent, l’obligeant à réitérer son mouvement du chef.
Adressant à sa mère des mots dont elle n’était pas sûre qu’il furent bien reçus, elle se rua à l’extérieur et courut dans un dédale de ruelles toutes plus longues les unes que les autres.
Enchaînant ses foulées athlétiques, elle enjamba la plaque d’égout par laquelle elle aurait été soulagée de voir Ulrich en sortir son visage ahuri et aussi abasourdi qu’elle ; il n’en fut rien.
Elle traversa le pont presque en volant, tant ses jambes lui paraissaient légères et promptes à sauver ses amis de quelque danger inconnu.
Parvenue à trois mètres de la balustrade près de laquelle reposaient cinq cordes se balançant imperceptiblement, elle sauta et parcourut ainsi toute la distance la séparant des filins.
Trop hâtive, elle ne parvint cependant pas à s’agripper à l’un d’eux.
Commença une longue chute vertigineuse qui lui arracha un cri d’horreur.
Voyant défiler autour d’elle des couleurs indistinctes, elle parvint à saisir l’un des cordons, mais ses mains moites glissèrent et l’empêchèrent de ralentir suffisamment.
Fermant les yeux, elle se positionna de manière à amortir au maximum le choc qui pouvait bien la tuer…
Elle heurta le sol si fort qu’elle repartit dans les airs sans pouvoir se maîtriser, assistant à sa perte comme une conscience enfermée à l’intérieur d’une poupée de chiffon.
Plusieurs heurts suivirent, qu’elle sentit à peine.
Etalée de tout son long, enfin immobile, elle tenta de soupirer mais dut retenir l’élan de sa poitrine douloureuse pour avaler une nouvelle goulée d’air forcée.
Sifflant plus que respirant, ses oreilles émettant une plainte stridente, ses yeux se brouillant de larmes, son corps lui donnant l’impression de trembler de l’intérieur, elle lutta de toutes ses forces pour ne pas sombrer dans l’inconscience.
Elle resterait peut-être allongée là des heures, mais elle se maintiendrait éveillée, guettant impatiemment le moment où la douleur cesserait de s’amuser avec elle.
Depuis quelques minutes déjà, Jérémie avait repris les choses en main.
Si Yumi devait aller sur Lyoko, elle risquait d’être à son tour piégée par XANA. Aussi le génie engageait-il une joute informatique avec les programmes de sécurité malveillants insérés dans les scanners, perçant une à une les protections soigneusement érigées par tout un savoir-faire virtuel.
Tout en s’égosillant pour reprendre le contrôle d’une des machines, il restait en contact avec Aelita.
- Ecoute Jérémie, après tout, ils ne vont pas m’éliminer, si ils veulent ma mémoire… Je pourrais tenter une sortie jusqu’à l’endroit du téléporteur !
- Trop dangereux ! Un tir mal ajusté et je te perds, toi aussi ! Non, reste là, Yumi ne va pas tarder, et je vais réussir à débarrasser un scanner…
Il s’accrochait à ces deux idées comme un noyé chercherait à respirer. Décidément trop empressé, il se connecta à l’ancestral réseau de caméras disséminées dans l’usine.
Une image en noir et blanc lui désignait les cordes suspendues devant une tache lumineuse qu’il interpréta comme l’entrée.
L’une de ces cordes se balançait encore sous l’effet d’un passage précipité.
Mélangeant un soupir de soulagement et un grondement de victoire, il abattit les derniers résistants du scanographe par lequel Aelita était entrée sur Lyoko.
N’entendant toujours aucun bruit qui lui aurait signalé la descente du monte-charge, il passa à la caméra du rez-de-chaussée et eut un hoquet de stupeur en découvrant la masse noire aux membres désarticulés qui gisait à terre.
C’était à croire que toute la malchance du monde l’écrasait sous son poids.
-Aelita heu… Yumi a un problème… Enfin je sais pas, j’vais voir c’qui s’passe ! Tiens bon, essaye de les r’tarder !
Sans laisser le temps à son amie de répliquer, il quitta le fauteuil en hâte et se précipita devant la porte de leur ascenseur de fortune.
Seule face à huit créatures, coupée du monde réel, promise à un futur qui se dévoilait comme très néfaste pour elle, Aelita aurait eu la nausée si Lyoko l’avait programmée.
Cette gêne en moins, elle pouvait donc se concentrer et réfléchir à loisir sur sa situation. Guère brillante.
Elle songea au dernier conseil de Jérémie - «Essaye de les r’tarder !» - et décida de jouer le tout pour le tout.
Elle se laissa tomber à genoux. Les mains jointes, elle laissa tomber sa tête en arrière pour dégager sa voix.
Doucement, timidement, elle se mit à chanter.
Ce chant résonna dans la grotte de glace, s’éleva, prit de l’assurance, et lorsqu’il s’interrompit, faisant revenir progressivement le silence, le quadrillage du plafond achevait de s’effacer.
Pivotant sur leur maigre angle de visée vertical pour contempler le phénomène, les Blocks reportèrent soudainement leur attention sur Aelita qui passa aussitôt à l’action.
De sa position désormais accroupie, elle détendit brusquement les jambes et s’éleva dans l’azur sombre du Territoire de la Banquise.
Suivie presque aussitôt par un feu nourri de tirs.
Cependant, il ne s’agissait pas des lasers digitaux habituels. C’étaient en effet les rayons blancs destinés à immobiliser la cible, imitant d’un point de vue virtuel quelques stalactites gelées.
Se réceptionnant sur la neige sans chaleur ni froideur, elle se redressa et courut le long de la dune. Celle-ci, formant un dôme au-dessus de sa prison, descendait et précipitait Aelita qui tentait de ralentir sa course.
Virant soudainement vers la droite dans un dérapage tout juste contrôlé après s’être aperçue qu’elle fonçait droit vers la Mer Numérique, elle bondit pour atterrir sur le mince chemin de glace qu’elle et ses amis avaient tant parcouru.
Distinguant le crissement des articulations des Blocks lancés à sa poursuite, elle sauta juste à temps pour éviter un nouveau faisceau de gel.
Un bourdonnement désagréable se fit entendre au-dessus d’elle et une escouade de Frolions la dépassa.
Eux aussi ouvrirent le feu, le vrai cette fois-ci, mais ils visaient à dix mètres devant elle. Sous le martèlement des lasers, le terrain céda et se dévirtualisa en révélant sa géométrie une ultime fois.
S’arrêtant soudainement, au bord du gouffre sans fond, elle pria pour que les Blocks cessèrent eux aussi leurs tirs.
Ce qu’ils firent, interrompant négligemment leur course.
Au loin, là d’où elle s’était enfuie, une plainte inhumaine retentit.

