Les Chroniques de Valombre - II. Le voyage de Yumi
Cette phrase résonnait chaque nuit dans l'esprit de Yumi depuis qu'Aramis l'avait prononcé dès leur arrivée, il y a une semaine. Mais ce n'était pas la voix de la Sentinelle. C'était une voix profonde, sauvage, semblant venir des tréfonds de la terre ; la même que celle entendue dans la salle de l'épreuve du Feu. Et à chaque fois que Yumi l'entendait, ces mêmes images défilaient devant ses yeux :
Elle voyait la cité de Luskan qui s'élevait sur une colline, non-loin de la mer. Puis, un paysage de plaines verdoyantes, parcourues de nombreuses rivières, s'étendant à perte de vue, et traversées par des troupeaux de bisons, de wapitis et de chevaux. Ensuite, un vaste marécage allant jusqu'aux pieds d'un mur montagneux noir et menaçant, qui se dessinait au loin. Une lande déserte et rocheuse suivait, puis une terre entièrement recouverte de neige, et enfin, un jardin au sommet d'une colline d'un vert tendre, entourée de hautes montagnes aux sommets enneigés. Trois aigles à tête blanche, l'un doré et les deux autres argentés, tournoyaient au-dessus du jardin.
Ce furent des craquements qui réveillèrent Yumi, comme si du bois s'était mis à brûler. Le bruit persistant, elle finit par ouvrir les paupières.
Il faisait encore nuit. Elle se trouvait dans une grande chambre aux murs ornés de tapisseries. Un feu crépitait dans un âtre de pierre en face du lit, éclairant un étrange personnage : jusqu'à la taille, il ressemblait à un homme, mais ses jambes étaient formées comme les pattes arrières d'une chèvre (avec un pelage noir et luisant). Deux petites cornes dépassaient de son épaisse chevelure noire frisée.
Yumi le reconnut. C'était le faune Pikadias, le meilleur ami d'Aramis, en plus de Skandranon. Il posait, sur une petite table, un plateau garni de denrées appétissantes : jus de fruit, céréales, pain grillé, beurre, confitures. Elle se redressa au moment où il se retournait :
- Oh, vous êtes réveillée ! lança-t-il d'une voix chaleureuse. C'est bien ! Je n'aurai pas à vous secouer ! Aramis viendra dans dix minutes. D'ici là, vous avez le temps de prendre votre petit-déjeuner... et de finir de vous extirper des bras de Morphée ! ajouta-t-il avec malice avant de sortir.
La jeune fille sourit à cette remarque mais ne rit pas ; elle en avait perdu l'envie depuis que les guérisseurs avaient abandonné Ulrich à son triste sort, sous prétexte que l'essence de la fleur de feu, guérisseuse de tous les maux, était inefficace. Cela l'avait mise dans tous ses états. Aramis lui avait alors parlé d'une fontaine aux propriétés magiques supérieures à celles de la fleur, dans les terres du Nord : la Source du Soleil. Yumi avait aussitôt insisté pour y aller.
Et elle doit partir aujourd'hui...
Quelques minutes plus tard, quelqu'un frappa à la porte ; Aramis entra dans la chambre avec une pile de vêtements, une paire de bottes, une cotte de mailles, ainsi que plusieurs armes dont les évantails fétiches de la japonaise.
- C'est tout ce que j'ai pu trouver à ta taille ! dit-elle. Choisi là-dedans ce qui te plaît. Rejoins-moi devant les écuries des chevaux, dès que tu seras décente.
Yumi opta pour une tunique bordeaux descendant jusqu'à mi-cuisse pour cacher son armure de mailles, un pantalon rouge et une cape brune, fermée au col par une fibule en forme de feuille de hêtre. Elle se saisit ensuite d'une épée qu'elle attacha à son côté, d'une dague et de ses évantails, puis sortit, prenant la direction de la chambre d'Ulrich ; elle ne voulait pas partir sans lui dire au revoir. Elle entra discrètement dans la pièce. Il était allongé, tel qu'elle l'avait vu si souvent depuis six jours, la tête appuyée contre les coussins, le visage d'une grande pâleur sous l'éclat des deux lunes. Il dormait profondément, sous l'effet d'un puissant sédatif ; les nuits étaient les seules trêves à ses journées de souffrances.
Yumi se pencha pour l'embrasser doucement, déposa ses deux évantails sur la table de nuit, puis disparut en silence. Une fois dehors, elle tourna à droite, descendit quelques marches, et entra dans une cour éclairée par des braseros, face aux imposantes écuries. Aramis l'y attendait, tenant par la bride un puissant poney à la robe alezane, queue et crinière blanches au vent.
- Voici Ellou, annonça-t-elle. Elle sera ta monture pendant ton voyage...
Yumi caressa doucement les larges naseaux de la jument, puis se hissa en selle.
- Une fois dans les terres enneigées, cherche un lac arborant les couleurs de l'arc-en-ciel, recomanda Aramis. La Source du Soleil se trouve de l'autre côté. (elle attacha un carquois plein de flèches à la selle et lui tendit un petit arc) Tiens, tu en auras sûrement besoin ! Et ne t'inquiètes pas pour ton bien-aimé, je veillerai sur lui, et en même temps, j'essaierai de retrouver tes autres amis. Bon voyage, Yumi ! (elle s'adressa à la ponnette) Cours, Ellou ! Montre-lui ce que célérité veut dire !
Ellou releva la tête, et s'élança, faisant résonner ses fers sur le sol de pierre. En un rien de temps, elle fut hors de la cité ; elle s'engouffra dans la nuit.
Sur Terre, plus précisément au premier sous-sol d'une vieille usine, en fin d'après-midi, Jérémie cherchait depuis une semaine ses amis disparus. Les traits tirés, les yeux cernés, il semblait épuisé. Sur sa gauche, les portes du monte-charge s'ouvrirent sur Aélita et Odd ; ce dernier tenait dans ses bras un petit chien gris.
- Alors ? s'enquit la jeune fille.
- Rien à faire, répondit Jérémie d'une voix lasse. J'ai pourtant passé tout Lyoko au peigne fin, y comprit le nouveau territoire ! Sans résultat... Mais je dois les retrouver ! Si XANA passe à l'attaque, nous risquons d'avoir besoin d'eux !
Soudain, une brusque secousse ébranla tout le bâtiment ; des morceaux de béton se détachèrent du plafond ; le chien hurla à la mort.
- Du calme, Kiwi ! fit Odd. C'était quoi, ça ?
- Allons voir en haut ! suggéra Aélita.
Tous trois entrèrent dans le monte-charge pour monter au rez-de-chaussé de l'usine. Dehors, ils se figèrent devant la scène qui se déroulait sous leurs yeux : d'innombrables sbires de XANA poursuivaient les habitants de la ville, les regroupant comme le font les chiens de berger pour les livrer ensuite à la Méduse, horrible masse transparente flottant dans les airs, ses tentacules enroulées autours des corps des victimes qu'elle possédait peu à peu.
- Cette fois, XANA a gagné pour de bon... lâcha Jérémie, anéanti.