Maître des énigmes
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Vaellus – Épisode #6 : Au-delà de l’horizon
Vaellus – Épisode #6 : Au-delà de l’horizon
Ce lundi était un grand jour pour lui et Aelita : ils étaient officiellement lycéens. Le proviseur, Jean-Pierre Delmas, s'était montré très compréhensif à leur égard. L'initiative, du reste, était de lui. Il avait révélé une partie cachée de sa personnalité : derrière ses airs stricts et bornés, c'était un homme d'initiatives, et généreux. Jérémie rejoignit Aelita et Yumi non loin de l'entrée principale.
- Salut, vous deux ! lança Yumi. Mes deux nouveaux camarades !
- Salut, Yumi, notre guide !
- Et bien, allons-y. Vous allez découvrir – ou du moins faire mine de découvrir – les bâtiments du lycée.
Le lycée était théoriquement séparé du collège, mais comme les bâtiments était contiguës, construits sur le même campus, et qu’en outre, au gré des besoins, certains cours du collège avaient lieu dans une salle du lycée et inversement ; la distinction était en grande partie formelle. Quoique… les cours étaient séparés, et les quartiers aussi (CDI, permanence, essentiel des salles).
Le premier cours de la journée était un cours de maths, avec madame Meyer, que Jérémie et Aelita eurent la surprise de retrouver. Elle fut leur professeur de mathématiques en 4ème, ils se connaissaient donc, et madame Meyer faisait partie des professeurs qui avaient appuyé le saut de classe. Et pour cause : c’est en maths que nos deux surdoués se distinguaient le plus.
Jérémie et Aelita étaient un peu mal à l’aise de se retrouver, à treize ans, dans une classe où les élèves en avaient quinze. Mais Yumi était là pour les rassurer, et William, ainsi que plusieurs autres élèves, se montrèrent fort chaleureux. Le cours portait sur les égalités remarquables, et nos deux amis s’en sortirent très bien.
Jérémie s’interrogeait sur la soudaine rébellion qui embrasait Lyoko, sur l’étrange revirement des dévas. Pourquoi s’étaient-ils retournés contre XANA ? Et d’où sortaient ces monstres volants qui étaient à leurs côtés ? D’autres rebelles, des monstres « corrompus » par les dévas, ou créations de ces derniers ?
Les deux hypothèses les plus probables étaient soit un bug, soit que les dévas étaient suffisamment évolués pour penser par eux-mêmes. Il était cependant étonnant que XANA parvînt à créer des monstres doués de libre arbitre, et encore plus étonnant qu’il ait consenti à les créer, sachant le danger potentiel qu’ils représentassent.
Jérémie opta pour l’hypothèse « bug ». Une hypothèse bug mêlée de l’autre hypothèse, à savoir des monstres évolués, mais limités par des entraves, et dont lesdites entraves ont connu une défaillance. Il commença donc par examiner les logs ; c’est en général par-là qu’il faut commencer quand on veut comprendre les bugs. Il lista les messages d’erreur de ces derniers jours, ce qui n’était pas une mince affaire : le système d’exploitation du supercalculateur en envoyait périodiquement. Restait à voir s’il y avait des erreurs pertinentes, et une ou plusieurs datées de la nuit du samedi au dimanche précédent. Il examina attentivement ces messages, ceux qui survinrent à l’heure probable et qui revenaient souvent de manière générale. En parallèle, il regardait la carte de placement des monstres. Il fit une découverte surprenante.
Un message d’erreur en provenance d’une zone apparemment déserte de la mer numérique revenait régulièrement, et sur la carte, Jérémie constata faisaient, ou semblaient faire, la navette entre cette zone et les zones de combat, s’arrimant aux monstres volants pour traverser la mer numérique. Curieux manège… Cette zone mystérieuse abriteraient-elle la base arrière des dévas, ou une sorte de fontaine de jouvence ? Après tout, Franz avait caché des artefacts sur Lyoko, telle que la pierre noire. Mais dans ce cas, pourquoi le superscan ne l’avait pas détectée auparavant ? Jérémie sentait que cette anomalie renfermait, sinon la clé, du moins l’une des clés de l’énigme. Il fallait aller y voir, de visu. Mais avant, autant pousser l’analyse via l’holomap au maximum. Le superscan interprétait mal l’anomalie, il renvoyait un message d’erreur. Le seul moyen d’obtenir un visuel était d’aller y voir.
Ce ne fut que deux jours plus tard que Jérémie réunit son équipe à l’usine. Il avait bouilli d’impatience, pourtant, mais il avait su maîtriser sa curiosité. Il ne voulait pas épuiser ses amis à des missions anecdotiques ou à des tâches de routine, et se retrouver avec une équipe affaiblie le jour d’une vraie attaque de XANA. Il avait mis à profit son temps pour poursuivre ses analyses informatiques, qui n’avaient rien données, et accessoirement à s’habituer à sa nouvelle classe. C’était en langues que Jérémie éprouvait quelques difficultés ; pour le reste, pas de problème.
- Tu ne nous avais pas dit qu’il valait mieux ne rien faire ? s’étonna Yumi. Tu disais qu’en nous voyant débarquer sur Lyoko, XANA et les Dévas risquaient de se liguer contre nous.
- Si nous les attaquons, pas si nous ne faisons rien, expliqua Jérémie. Qu’est-ce que ça changerait, de nous montrer ? XANA comme les dévas connaissent notre existence et ont déjà eu affaire à nous.
- Il va donc falloir aller voir de près cette singularité, poursuivit Aelita. Un volontaire ?
Odd fit un V de la main droite et son visage se fendit de son plus large sourire.
- Je vais virtualiser Yumi, Ulrich et Odd. Odd ira voir la singularité de ses yeux de lynx.
Les trois préposés à la mission d’observation descendirent à la salle des scanners.
- Transfert Yumi, transfert Ulrich, transfert Odd. Scanner, virtualisation.
Les trois lyokonautes apparurent dans un scintillement dans le territoire des montagnes.
- Voici vos véhicules ! Prenez le cap 95, je vous guide.
Ils s’exécutèrent. Ils allaient entre les montagnes, plongeant dans la brume et contournant les rochers. Ce territoire était le préféré de Yumi, elle ne se lassait pas d’en admirer le paysage tant qu’il lui était loisible de le faire. Bien que les sensations tactiles fussent fortement limitées sur Lyoko, Yumi sentait –imagination ou extrapolation ?- la caresse d’un zéphyr sur sa peau. Les terres émergées du territoire des montagnes flottaient haut au-dessus de la mer numérique ; pour rejoindre celle-ci, nos trois amis s’enfoncèrent dans la brume, de laquelle perçait des rais de lumière bleue.
- Vous allez devoir vous séparer, annonça Jérémie. Ulrich et Yumi, prenez le cap 45, et Odd le cap 135. Puis à mon top, les deux tourtereaux au cap 135, le plus haut possible, et Odd au cap 45, au ras des pâquerettes, droit vers l’objectif.
À peu près au moment où les deux groupes d’importance inégale viraient vers l’objectif, Jérémie eut une mauvaise surprise sur l’holomap.
- Yumi et Ulrich, ennemi volant non identifié en approche ! prévient-il.
Les créatures ressemblaient à une ogive dont les ailerons étaient aussi longs que les ailes, dont les extrémités portaient d’énormes panneaux rectangulaires, peut-être des boucliers. Le style général différait des monstres habituels de XANA. Elles fondirent sur leurs proies et ouvrirent le feu avec une précision diabolique. Ulrich et Yumi paraient les coups, Ulrich renvoyait les rayons à leur destinataire. Il réussit à en toucher plusieurs, mais la lutte était inégale ; un tir détruisit l’overboard, les deux passagers tombèrent dans le vide et Jérémie dut les dévirtualiser. Pendant ce temps, Odd s’était approché. Il commençait à distinguer quelque chose au loin, quand il fut attaqué par un monstre volant, par le haut.
- Odd, remonte ! Ça ne sert à rien de raser les vagues, maintenant ! cria Jérémie.
Odd s’éleva dans les airs, toujours sous le feu de l’ennemi. Il reçut un coup dans le dos, sans que son bouclier lui fût utile, et disparut du ciel de Lyoko dans une gerbe de polygones blancs.
De retour auprès de l’opérateur, les trois lyokonautes reçurent un verdict sans appel.
- La singularité est sévèrement gardée et il est trop dangereux de s’aventurer au-dessus de la mer numérique dans ces conditions. J’ai bien peur que nous ne puissions pas l’approcher par des moyens conventionnels.
- Que vois-tu, comme autre moyen ? demanda Aelita, plus par rhétorique que par curiosité, car elle devinait déjà la réponse.
- Rien.
- On ne peut pas devenir invisible ? s’interrogea Ulrich.
- Non, ça fait partie du fonctionnement de Lyoko. Le système d’exploitation rejette tout lyokonaute dont l’enveloppe physique est invisible. Les fonctions d’affichage doivent être actives, et aucune fonction de camouflage activée. Donc ne cherche pas de ce côté-là.
- On pourrait tenter de passer en force, suggéra Yumi. En triplicatant Ulrich et en créant des clones grâce aux pouvoirs d’Aelita, on devrait pouvoir y arriver.
- C’est une option, concéda Jérémie, mais n’oublie pas que seuls les originaux peuvent y voir quelque chose. Et puis, il n’est pas encore possible de cloner les véhicules volants, les problèmes techniques ne sont sans doute pas insurmontables mais je ne les ai pas encore surmontés.
Jérémie était contrarié ; la mission qu’il avait préparée avait débouché sur un échec complet. Et pour l’instant, il ne voyait pas d’alternatives. Cette opération n’était certes pas indispensable, mais Jérémie était taraudé de questions, dévoré par son insatiable curiosité. Il voulait connaître la nature de cette singularité. Mais, pour l’instant, il devait prendre son mal en patience, et retourner, pour un temps indéterminé, à sa vie nouvelle de lycéen.
Il retourna en classe, accompagné de Yumi et d’Aelita. Il réfléchissait encore à un moyen d’atteindre sans encombre la singularité : quand Jérémie était lancé sur une idée, elle ne le quittait plus.
Athènes au 5ème siècle avant Jésus-Christ. Le programme d’histoire de seconde était curieux. Au collège, les choses étaient simples : l’Antiquité en 6ème, le Moyen-âge en 5ème, l’époque Moderne en 4ème et l’époque contemporaine en 3ème. En seconde, en revanche, on jouait à saute-mouton, passant de l’Athènes classique à l’Empire Romain au 2ème siècle après J.-C., en passant par la naissance du Christianisme. Puis on naviguait sur la Méditerranée médiévale, on arrivait à la Renaissance, pour filer droit vers la Révolution Française et l’aventure napoléonienne. La cohérence ? Les époques jugées décisives dans la construction de la civilisation européenne et de la France avant l’âge industriel. Ils étudiaient un discours de Périclès. Il semblait en effet que nous avions hérité des Athéniens la démocratie, et la phrase du stratège athénien « Notre régime politique ne se propose pas pour modèle des lois d’autrui, et nous sommes nous-mêmes des exemples plutôt que des imitateurs » montrait bien que nous avons hérité aussi de leur modestie.
Cela dit, de même que Franz Hopper aimait bien Carthage, Jérémie aimait bien la Grèce antique. Il s’amusait d’ailleurs à comparer Platon inventant sa Cité Idéale et Hopper concevant Lyoko. Tous deux, cherchant à créer un monde parfait, avait inventé des mondes terrifiants. La différence était que l’utopie de Platon resta sur le papier.
Quel était le but de XANA, d’ailleurs, avait-il un projet utopique, lui aussi, une utopie diabolique ? Voulait-il un monde le seyant ? Jérémie se rappelait avoir lu une nouvelle de science-fiction, dont le nom de l’auteur lui échappait. Une histoire où une nouvelle race humaine intelligente mais sans émotion avait fait son apparition dans la population. Des sortes de machine. La conclusion logique de leurs froides élucubrations était que la pureté résidait dans la simplicité originelle. Moyennant quoi ils mettaient au point des bombes pour rendre la Terre pure. XANA avait déjà tenté de détruire Lyoko. Cependant, XANA avait un comportement bien moins cohérent, notamment ces dernières semaines. Ses voies étaient aussi impénétrables que les murs de Fort Knox.
Ces pensées profondes furent interrompues par la sonnerie.
À la bibliothèque, Odd avança son stylo vers le brouillon de Jérémie.
- Einstein, je peux te prouver que un égal deux, affirma-t-il.
- Je suis curieux de voir ça, ricana Jérémie.
Odd traça une suite d’équations sous des phrases italiennes.
a = b
a×a = a×b
a×a - b×b = a×b - b×b
a×a + a×b - a×b - b×b = b×( a-b )
a×( a+b ) - b×( a+b ) = b×( a-b )
( a+b )×( a-b ) = b×( a-b )
a+b = b
posons que a=1 ; b=1
2 = 1
- Je vois. Classique.
- Tu as déjà deviné le truc ? Pas moi. Je n’ai pas tellement cherché, mais quand même… Je n’aurais même pas eu le plaisir de te scier pendant ne serait-ce que dix secondes. Alors, c’est quoi l’arnaque ?
- Tu divises par zéro entre la sixième et la septième ligne, ce qui est interdit.
- Ha oui, tiens, grommela Odd, dépité. Et pourquoi c’est interdit, d’abord ?
- Déjà, parce que ça permettrait de prouver que un égal deux, ce qui est absurde, ironisa Jérémie.
- Le serpent se mord la queue.
- Et puis une division ne peut pas se faire sans dénominateur. En toute logique, c’est une aberration mathématique. Mais d’un certain point de vue, ça donnerait infini. En théorie. De telle sorte qu’en fait, tu as démontré que l’infini est égal à l’infini, s’amusa Jérémie.
- Le truc n’est pas censé se voir si facilement…
- La tricherie, tu veux dire.
- Ce n’est pas une tricherie, s’insurgea Odd, c’est une habile dissimulation, un tour de passe-passe, de prestidigitation, de camouflage !
- Vu sous cet angle, dit Jérémie pensivement.
Odd retourna à sa place, tandis que Jérémie semblait absorbé. Finalement, il s’agita.
- Qu’est-ce qui t’arrives, Jérémie ? Je t’ai perturbé, finalement ? rigola Odd.
- Eurêka ! s’exclama Jérémie. C’est tout bête ! Odd, tu es un génie !
Sur ce, il se leva d’un trait et sortit en trombe en criant :
- Aelita, suis-moi !
Odd se tourna vers Ulrich :
- C’est toi qui disait que j’étais nul en maths ?
Nouvelle réunion, le soir même, dans la chambre de Jérémie. Celui-ci trônait en majesté sur son fauteuil, dos à son ordinateur. Aelita, assise en tailleur au bout du lit, son portable sur les genoux, examinait une longue série de ligne de code, dont Odd, assis à côté d’elle, lut un fragment :
FPI=Π/180.
STEP = 360./(N-1)
DO I=1,N
X=(I-1)*STEP
DO J=1,N
Y=(J-1)*STEP
ZMAT(I,J)=2*SIN(X*FPI)*SIN(Y*FPI)
END DO
END DO
Effrayé, il tourna son regard vers Ulrich, assis à sa droite, qui minaudait avec Yumi. Il s’adressa alors à Jérémie.
- Alors, tu vas enfin nous expliquer ce qui se passe ?
- Je crois avoir trouvé un moyen d’approcher la singularité.
- Nous sommes tout ouïes, dit Yumi, qui se redressa et se concentra.
- Je pense pouvoir rendre un lyokonaute invisible, déclara-t-il solennellement.
- Je croyais que c’était impossible, s’étonna Yumi.
- Oui, en fonctionnement normal. Je raisonnais en terme de programmation saine. En fait, l’idée est de faire « planter » le programme.
Le public de Jérémie avait du mal à suivre.
- Diviser par une variable nulle, commenta Aelita, le plus classique des bugs.
- A priori, le programme d’affichage devrait être instantanément tué. Mais comme le supercalculateur est un ordinateur quantique, il réagit mieux à ce type de bug, de sorte que seule la fonction défaillante sera tuée, pas tout le programme. En l’occurrence, il s’agit de la fonction #S3E3. C’est une fonction tampon qui…
- Jérémie, l’interrompit Aelita, ne part pas dans des digressions techniques, tu vas en assoupir quelques-uns uns. Allons à l’essentiel. L’échec de cette fonction décrémente les points de vie.
- En effet, mais le phénomène n’est pas censé être durable. Le plus que nous avons pu obtenir est un temps d’invisibilité de 38 secondes en passant de 100 points de vie à 1.
- Je suis du reste en train de repasser les améliorations de Jérémie. Pour le moment, ça m’a l’air correct, et bien trouvé. Mais j’appréhende tout de même le test en situation réelle –ou plus exactement, en situation virtuelle. Bref, vous m’avez compris, plaisanta-t-elle.
Jérémie avait décidé de plonger. Les véhicules ne pouvant pas être occultés, il fallait un lyokonaute pouvant voler seul, et Jérémie pouvait chevaucher pendant deux minutes environ sur son bâton, comme une sorcière sur son balai magique.
La préposée à l’ordinateur de contrôle était donc cette fois Aelita. Les trois autres lyokonautes accompagnaient l’elfe, pour l’escorter dans les airs le plus longtemps possible.
- La fonction piégée est chargée, prête à être activée. Pour cela tu devras utiliser ton pouvoir d’illumination.
- Bien reçu. Madame et messieurs, allons-y.
Ils avançaient vers la mer numérique. Jérémie était le passager d’Ulrich sur l’overbike.
- Vous ferez diversion, rappela Jérémie. Odd sur ma gauche, Ulrich sur mon bas et Yumi sur ma droite.
- Tu nous as déjà tout expliqué, Jérémie, lui signala Ulrich.
- C’est qu’il a peur, notre Jérémie, c’est sa première confrontation avec les monstres de XANA. T’en fais pas, on sera là pour le protéger, et les tirs ne font pas mal, enfin pas des masses, assura Odd.
Ils s’élançaient au-dessus de la mer numérique, à basse altitude. Ulrich convertit pour l’occasion son overbike en aéroglisseur (une petite amélioration de Jérémie, consistant à tirer partie de la force de répulsion de l’horizon des événements).
- J’ai lié Ulrich à l’overbike, déclara Aelita, de sorte que si l’overbike est détruit, Ulrich sera immédiatement dévirtualisé. Il a fallu que je réduise ses points de vie pour ça. Je n’aime pas tous ces bricolages qu’on a bidouillé pour cette mission, on aurait dû faire des tests complets avant. Et puis…
Elle s’interrompit pour avertir :
- Trois monstres volants droit devant !
- Un chacun, on dirait, maugréa Yumi.
- Jérémie, c’est pour quand ? s’interrogea Ulrich.
- Pas encore, tu dois être plus près.
- Point de séparation à 0.6, précisa Aelita.
- Si j’y arrive… On est bientôt à porté, précisa Ulrich.
Il brandit en signe de défi son arme.
- Espérons que je tiendrais quelques secondes, au moins quelques secondes.
- Flèche laser ! enchaîna Odd.
- Yah ! ajouta Yumi.
Les premiers laser frôlèrent Ulrich. Puis il dévia la seconde rafale. C’est à cet instant que Jérémie entama la phase critique de sa mission.
- Séparation !
Jérémie s’éleva dans les airs sur son « balais » et formula son occultation. Il fut alors traversé par une douleur supportable mais intense pour l’environnement virtuel de Lyoko. Il fit un crochet pour éviter l’ennemi qui prenait pour cible Ulrich. Le premier coup au but le dévirtualisa.
33 secondes.
Jérémie s’élança à vitesse maximum vers la singularité, laissant ses deux camarades restants aux prises avec la Garde. Son état « superposé », au sens quantique du terme, c’est-à-dire à la fois virtualisé et dévirtualisé, ou alors ni virtualisé ni dévirtualisé –il était incapable de trancher– lui interdisait les communications radio. Il était dans une sorte de phase différente, ou parallèle, coupé du monde de Lyoko et du monde réel. D’après ses calculs, si, par le plus grand des hasards, un laser perdu l’atteignait, il le traverserait sans dommage.
21 secondes.
Il s’approchait de la singularité. Il distinguait maintenant un disque sur la mer numérique, et deux aéronefs patrouillants autour.
19 secondes.
Rêvait-il ou ce disque était un vortex ? Il prit un peu de hauteur pour avoir une vue plus globale de l’objet.
15 secondes.
C’était bel et bien un vortex. La question était : « où mène-t-il ? », si d’aventure il menait quelque part. À une zone cachée du 5ème territoire ? À un sixième territoire ? Il allait bientôt survoler le vortex, il verrait peut-être quelque chose au travers. Les aéronefs manœuvraient.
11 secondes.
Les aéronefs, qui décidément ressemblaient aux Tie fighters de la saga Starwars, ouvrirent le feu en sa direction. Jérémie en fut surpris : comment pouvaient-ils le voir ? Puis il s’aperçut que les tirs n’étaient pas ajustés. Il était probable qu’ils avaient estimé son cap d’approche et tentaient de le stopper. Tout cela supposait que XANA avait observé son occultation. Les rayons étaient nombreux et de faible puissance. Il décida de maintenir son cap pour ne pas perdre de temps. De toutes façons, ils ne pouvaient pas l’atteindre, du moins en théorie.
6 secondes.
Il était au-dessus du vortex –car c’en était bien un. C’est alors qu’un laser le frappa. Il fut traversé par une douleur fulgurante, et son bâton se désagrégea, comme sous l’effet d’une surcharge. Jérémie fut projeté et tomba selon une trajectoire en cloche, en se disant qu’il jouait de malchance. Il tenta de formuler sa dévirtualisation, mais avant qu’il ne recouvre la faculté de le faire, il avait disparu au-delà de l’horizon.
0 secondes.
Aelita, ne voyant pas réapparaître Jérémie, s’en trouva très inquiète. Elle lança une série de programmes de diagnostic, de scanners et autres outils de « mapping » et « géolocalisation ».
L’ascenseur ouvrit ses portes.
- Alors ? Demandèrent-ils à l’opératrice.
- Je l’ai perdu. Aucune trace. Mais aucun pic de tension n’a été mesuré dans la mer numérique, donc a priori il n’y est pas tombé.
Elle se leva et s’engouffra dans l’ascenseur.
- Excusez-moi, je dois vérifier quelque chose sur Lyoko. Suis-moi, Kiwi.
- Hé ! s’écria Odd, tandis que les portes se refermaient sur Aelita et sa monture.
- Yumi, j’aurais besoin de toi aux manettes.
- Heu, je vais voir ce que je peux faire, promit-elle d’une voix mal assurée.
Arrivée au niveau inférieur, Aelita déposa Kiwi dans un scanner et pénétra dans un autre. Puis elle fut virtualisée comme le prévoyait la tâche à retardement qu’elle avait lancée.
Sur Lyoko, elle monta Kiwi et fonça à la Tour de passage. Elle laissa Kiwi devant la tour, s’y engouffra à travers le mur et s’éleva jusqu’à la console. De là, elle s’identifia et éplucha certains logs.
- Yumi, envoie-moi en visuel le fichier « h_83_1242.log » du socket 24.
- Voyons voir… Tu m’avais expliqué comment faire mais… Attend, voilà…
Aelita continua sa besogne. Au bout de quelques minutes, Yumi s’exclama :
- Kiwi vient d’être dévirtualisé ! Qu’est-ce qui se passe ?
Odd se pencha vers l’écran et diagnostiqua :
- J’ai bien peur que tu aie débranché l’holomap en voulant la mettre à l’arrière plan.
- Ha oui, mince, quelle idiote ! grommela Yumi.
La carte familière apparut, avec un point jaune et un point rouge proches.
- Aelita, il y a un déva juste devant la tour !
- Bien reçu, je m’en occupe. Je vais descendre au niveau zéro, puis je plongerai pour changer de territoire, puis rentrer. J’ai trouvé ce qui je veux. Honnêtement, je ne sais pas comment interpréter les données des logs de la tour, car…
- Aelita, es-tu là ? s’étonna Yumi, à cause de la brusque interruption d’Aelita.
Aelita était là. Elle était muette de stupeur, debout, au centre de la plate-forme. Un déva pointait son arme sur son cœur. Il était à l’intérieur de la tour.
- Namaskār ! Maĩ miśā hū~, dit-il.
- Quoi, bredouilla Aelita, d’une voix décontenancée.
- Ghabrāie mat, dit-il.
Un faisceau de lumière jaillit de son arme. Aelita s’évanouit.