Voici comme promis le chapitre suivant de ma fic, intitulé « Plan B ». Il n’est pas aussi long que le précédent mais j’espère que celui-ci permettra malgré tout d’égailler davantage votre intérêt à ma fic. Quant aux chapitres suivants, pas d’inquiétude, ils seront publiés à un rythme régulier. N’ayant plus cours, je peux me reconcentrer sur mes projets, dont ma fic.
Saturée d’humidité, la brume était triste et froide. Quittant les lieux d’où elle avait émergé, elle patinait en titubant comme une créature qui aurait été dépouillée de son âme. Avançant à petits pas, elle prenait soin de couvrir, de son drapé macabre, tout indice sur son passage. Brindilles, cailloux, feuillages, rien ne lui avait échappé. L’entièreté du collège était ensevelie sous une couche de gaz maussade, rendant la vision périphérique de la japonaise quasi nulle. Glissant le long de sa peau frêle et trempée, la brume semblait chercher l’entrée de sa chair à l’image d’un parasite assoiffé de sang chaud. Enveloppée de cette épaisse bâche rimant avec la mort, Yumi fut parcourue d’un long frisson qui fit vaciller sa colonne vertébrale depuis le creux de ses reins jusqu’au sommet de son crâne. Elle essaya de se frictionner les bras pour simuler une source de chaleur. Mais en vain. Ses lèvres crispées et son visage figé dissimulaient une profonde inquiétude qui l’a déchirait de l’intérieur. Tout s’enchevêtrait dans sa tête. L’esprit empli de questions, de douloureuses pensées l’envahirent les unes après les autres. Chaque assaut l’affaiblissait et la rapprochait de la folie. Elle désirait les combattre mais elle n’en avait ni le temps, ni la force. Elle savait qu’elle devait avant tout accomplir la mission qui lui avait été confiée. Alors, elle courait, encore et encore, jusqu’à en perdre haleine. Plus elle s’approchait de sa destination, plus les muscles de son corps se contractaient. A chaque pas qu’elle franchissait, ses fines jambes tremblantes signalaient qu’elles ne pourraient plus supporter son poids encore très longtemps. Son corps était lourd et sa respiration accentuée. La gorge serrée et dépourvue d’humidité, son cœur battait si fort qu’elle en avait la nausée. Au rythme de ses pas, les pulsations s’intensifiaient et aspiraient la moindre particule d’air qui atterrissait dans sa trachée. Rapidement, la durée des contractions des ventricules tendant à se réduire, une douleur se fit ressentir au niveau de sa poitrine. Tous ces efforts et ces évènements l’épuisaient. Yumi n’avait qu’une envie, recracher cet organe qui lui fit tant de fois souffrir et en finir une bonne fois pour toute. Mais elle s’abstint. Le visage pâle et les cheveux qui dégoutaient, l’adolescente priait une quelconque divinité ou force supérieure de lui venir en aide.
Les évènements s’étant déroulés beaucoup trop vite, elle n’avait rien vu de concret. À la recherche de la moindre piste qui lui aurait échappée et qui pourrait lui être utile, les images défilaient en boucle dans sa tête. Tout y était sombre et confus. Les bois semblaient plongés dans un chaos absolu. Perdue dans l’obscurité la plus totale, elle revoyait encore la silhouette de son ancien ami apeuré. Cela n’avait duré qu’une fraction de seconde mais leurs regards s’étaient croisés. Les lueurs qui s’échappaient du regard de William décrivaient un danger imminent. Une menace jusque-là inconnue. Mais il fallait être réaliste, elle n’avait rien. Aucun élément qui pourrait l’aider. Elle avait quitté ces bois les mains vides, abandonnant son soupirant à son sort. Dans ce cas, quelle était la source de ses angoisses ? Après une rapide analyse de la situation, elle comprit qu’elle ignorait tout du ravisseur et de la terrible menace qui pesait sur William et Ulrich. Elle se contentait simplement de courir dans une cour sans vie, à la recherche d’amis ou d’alliés. Peut-être que c’est vrai ce qu’on dit finalement. La crainte du danger est mille fois plus terrifiante que le danger présent.
Au loin, les masses d’air étaient animées par une palette de couleurs mornes. Le vent qui haletait d’est en ouest permit de dégager un filet de vapeur révélant d’imposants éléments architecturaux. Des arbres et façades commencèrent à sortir du lot ce qui permit à l’adolescente de s’orienter et d’éviter les obstacles qu’elle avait déjà saillis d’innombrables fois. Piquée par la fraîcheur de la brise, elle sentait que la fin de son périple était proche. Le vent tournait enfin à son avantage. Une sensation de soulagement lui réchauffa le cœur et se répandit comme un virus à travers son corps. Elle intensifia le rythme de ses pas et s’approcha d’un long et sinistre abri. Plantée au milieu de la cour, la bâtisse était étroite et isolée. Le vent chatouillait la toiture, faisant bondir de joie les feuilles dorées de l’automne des tuiles aux tons cramoisi sur un sol humide clairsemé de lumières vives. Tantôt rouge et tantôt jaune, les couleurs vibraient au gré du vent dénonçant l’antre d’une entité aux formes généreuses. Face à celle-ci, quelques autres formes étranges se dessinèrent à travers le brouillard. D’où elle se trouvait, impossible pour la japonaise d’identifier les visages. Elle les fixa attentivement et réussie à distinguer deux silhouettes. L’une d’entre elle retint particulièrement son attention. Celle-ci était assez longue et incurvée au niveau des extrémités. Yumi esquissa un sourire sans joie et s’empressa de les rattraper.
— J’y suis, murmura-t-elle.
Plus haut, sur ce qui s’apparentait à un plafond nacré, une véritable fanfare était en train de prendre place. Les bourdonnements incessants des alizés s'élevèrent sensiblement, signalant la fin de l’entracte. Un vaste drapé grisâtre recouvrit la voûte céleste, prenant en otage les quelques astres qui étaient encore perceptibles. De peur d’arriver en retard, la frénésie gagna les cieux où chaque molécule d’eau était invitée à regagner son siège. Le spectacle allait afin reprendre et il n’était pas question pour eux d’en louper une seule seconde. Quelques courts instants s’écoulèrent avant qu’un long sifflement strident et assourdissant perça le calme dans lequel baignaient les lieux. Soudain, les premières mélodies résonnèrent avec grand fracas à travers toute la région, faisant sursauter murs et fondations. L’orchestre avait toute l’attention nécessaire pour commencer à jouer.
Arrivée à la hauteur du kiosque, Yumi essaya de poser sa main contre le mur extérieur. Ce même mur de plusieurs centimètres d’épaisseur qui la séparait du distributeur de boissons et peut-être de la solution à ce mauvais rêve. Quelques particules d’eaux luisaient le long de sa main avant d’aller se réfugier sous sa paume. La tête penchée entre ses jambes et la respiration haletante, l’adolescente était à bout de souffle et sans défense. Les gouttelettes s’accumulaient au creux de son poignet et pleuvaient à un rythme irrégulier. Chacune de ces molécules était unique et étincelante, elles s’écoulaient le long de sa peau blafarde avant de traverser une fine couche de fumée où elles finissaient par s’écraser sur un sol parfaitement indifférent à leurs sorts. Le dos incliné et le regard plongé dans le vide, la jeune japonaise était seule, isolée de ses amis, à la merci de n’importe quel prédateur.
*****
Devant le distributeur, quelques silhouettes s’étaient cachées dans un coin de la pièce. Agglutinée les unes aux autres, elles furent contraintes de former une seule entité. La cellule était sombre et lugubre mais, la machine diffusait suffisamment de lumière pour entrevoir de minces détails. Projeté avec trois têtes et formant ce qui s’apparentait à un cerbère, la créature des ténèbres veillait devant l’entrée. Elle était petite de taille et les dimensions de ses membres étaient variables. Soudain, là-haut dans le ciel, un bruit effrayant retentit et distrait l’attention de la chose. On aurait dit le rugissement d’un animal à l’agonie. Chaque pixel de la silhouette de la créature mythique frissonnait et suivait avec horreur les complaintes de la bête mourante. Les cieux craquelaient et carillonnaient, se diffusant tel un séisme de forte magnitude. Une première étincelle d’un blanc immaculé jaillit des nuages, déchirant avec rigueur les amas cotonneux. L’espace d’un instant, la lumière qui émana suffit à illuminer l’intérieur de cette pièce vide d’espoir. Au contact de cet impressionnant halo éclatant, la bête fondit comme neige et se divisa en trois, libérant chaque âme qu’elle avait emprisonnée. La plus grande de taille se distinguait de ses comparses au travers de ses formes des plus surprenantes. Longue de taille et courbée au sommet, elle ressemblait grossièrement à un cylindre mal découpé. Autour d’eux, les quelques courageuses feuilles d’arbres qui s’accrochaient à leurs racines frémissaient sérieusement craignant l’arrivée d’un redoutable ennemi. Les chants des délicates lueurs qui se dégageaient encore de l’appareil étaient parfaitement synchronisés avec la cacophonie qui ébranlait les cieux. Plus les notes s’aggravaient, plus les scintillements de l’engin s’estompaient. Jusqu’au moment où la partition toucha à sa fin. Les dernières mélodies furent les plus fracassantes, plongeant le collège dans l’obscurité, sans lumière sans rien.
L’appareil s’était vidé de son âme. N’ayant plus de quoi se nourrir, il n’eut d’autre choix que de tomber dans un coma artificiel, emportant avec lui sa joie de vivre. Rapidement, d’autres sections du collège suivirent le mouvement. Pièce par pièce, les reflets de lumières se brisaient. La panne de courant se répandit à travers toute la ville comme une trainée de poudre tandis que l’orage continuait à gronder, se félicitant de son acte.
— Vous voyez quelque chose ? dit une voix masculine aigüe, déchirant la noirceur dans laquelle les lieux étaient plongés.
— Non, mais attends. J’ai une idée, répondit une voix féminine douce et angélique.
Quelques bruits de frottements rebondirent dans la pièce comme des balles de ping-pong, avant qu’un puissant éclair lumineux n’envahisse les lieux, éradiquant les forces obscures qui s’étaient immiscées. Le faisceau continuait à immerger le local, puisant son énergie de ce qui semblait être un petit appareil rectangulaire aux bords arrondis. Brusquement, une ombre se posa devant celui-ci.
— Tu veux bien orienter cela ailleurs, s’il te plaît ? fit une autre voix masculine mais cette fois plutôt grave et irritée.
La paume de la main face à la lumière, la personne semblait se protéger les yeux.
— Oh, excuse-moi, se défendit l’intéressée.
Elle dirigea son engin vers la cour noyée de désespoir et balayée par les rugissements du vent. Les victimes de l’orage tournoyaient et échappaient aux cris du vent. Elles s’élançaient dignement à travers les lieux, prenant soin de contourner les pieds d’une chose qui s’était hissée face à l’entrée du kiosque mais, qui n’y était pas présente il y a de cela quelques secondes. Intriguée, la jeune fille concentra la lumière tout autour. Veillant à éviter le moindre faux pas, elle grimpait délicatement les échelons, éblouissant les quelques détails qui pourtant se démarquaient. Arrivée au sommet, la jeune fille fut frappée d’une frayeur. Surprise, elle se mordit les lèvres pour s’empêcher de lâcher un cri qui risquerait d’affoler ses compagnons. Face à elle, la chose était immobile et attendait qu’on l’a remarque. Les rafales de lumière martelaient à coup de fouet son délicat visage, lui faisant fondre la rétine. Subitement, ses paupières servirent de bouclier, suppliant son assaillant d’abréger ses souffrances. En guise de détresse, quelques gémissements plaintifs se lancèrent à l’attaque, comme la dernière unité d’infanterie. Néanmoins, ces quelques mots éveillèrent les soupçons des deux autres individus qui étaient présents dans la pièce mais qui n’avaient encore rien vu. Le plus long du trio décida de tourner le dos pour identifier la chose qui se dressait devant eux. L’inconnu paraissait à bout de souffle et leva à son tour sa main pour se couvrir le visage. La jeune fille arborant un costume d’elfe, baissa aussitôt son engin, permettant au jeune homme en forme de sandwich de reconnaître leur invité.
— T’y crois pas ! dit-il ahuri. Ça ne vas pas de nous faire une telle frayeur ?
Aucune réponse.
La personne ne semblait pas encline à répondre à cette question qu’elle jugeait malvenue.
— Est-ce que ça va ? réagit la jeune fille inquiète.
La bande essayait de comprendre mais aucune réponse ne parvenait.
Elle s’avança à petits pas jusqu’à l’intérieur de la pièce. Elle semblait préoccupée et ressentait le besoin d’être à l’abri.
— Où est Ulrich ? demanda le plus petit de la bande.
Que pouvait-elle dire ? Les quelques secondes qui secouèrent la pièce, avant qu’elle ne se décide à ouvrir la bouche, parurent interminables. Sous les regards inquiets de ses amis, Yumi s’efforça de leur raconter toute l’histoire sans omettre le moindre détail.
*****
La salle des fêtes était noire de monde. Pour des raisons de sécurité, personnel et corps enseignant s’étaient réunis dans le local afin de garantir la protection des élèves. Plongée dans une certaine obscurité, de nombreuses citrouilles aux visages diaboliques trônaient sur les appuis de fenêtres, illuminant faiblement les lieux. Smartphones et derniers bijoux technologiques à la main, les fêtards déversaient des rayons de lumières autour d’eux tel un phare au cœur de la tempête. À l’extérieur, la pluie battait son plein, narguant vilement les malheureux pris au piège. Les averses s’intensifiaient et martelaient inlassablement les carreaux du bâtiment. Enseveli sous un interminable boucan, la porte d’entrée du local s’ouvrit brusquement faisant sursauter les dizaines de collégiens qui s’étaient improvisés lanternes. Le ciel était toujours aussi sombre. Un nouvel éclair suivit d’un coup de tonnerre aveuglèrent rapidement la salle, faisant naître une forte silhouette sur le seuil de la porte. La pluie ne l’avait pas épargné car, l’étranger dégoutait de partout comme un homme qui aurait couru le marathon. Il s’avança scrupuleusement en direction de la scène où les adultes s’étaient donnés rendez-vous. Tandis qu’il se frayait un chemin dans la marée humaine, ses chaussures trempées couinaient d’un bruit aigu et terrifiant sur le sol en bois. Au fil de ses pas, il abandonnait derrière-lui des traces de boue sous le regard médusé des collégiens. Rapidement, le trouble-fête atteint son objectif et gravit les quelques marches qui le séparait des responsables.
— Tout le monde est là ? demanda-t-il nerveux.
— Suzanne est en train de faire l’appel, répondit Jim qui scrutait la salle afin de vérifier ses propos. Mais je pense que le compte y est Jean-Pierre.
Le proviseur semblait perturbé. Il retira ses lunettes humides et se mit à les astiquer inlassablement à l’image d’un névrosé. Anxieux, il observait la salle sans dire un mot, attendant que le verdict tombe.
— Abulabbas ? s’adressa à l’assemblée une femme à la voix perçante.
Aucune réponse ne se fit entendre.
Du haut de ses talons, elle balaya du regard une salle dévorée par les ténèbres.
— Abulabbas ?! redemanda-t-elle.
— Présente ! répondit timidement la concernée.
— La prochaine fois, répondez au premier appel ! réagit la prof de science visiblement pressée.
Elle mit une croix à côté du nom qu’elle venait de citer et descendit d’un cran pour appeler le suivant.
— Belpois ? dit-t-elle calmement.
Plusieurs secondes s’écoulèrent mais rien.
— Belpois ?! demanda-t-elle une seconde fois.
Toujours aucune réponse.
— BELPOIS ! s’écria-t-elle perdant à nouveau patience. Mais qui est-ce qui m’a fichu des élèves incapable de se reconnaitre ? ajouta l’enseignante affligée.
Cette soudaine crise de colère piqua l’attention du proviseur qui s’était brusquement arrêté de polir ses verres. Il les plaça subtilement au creux de son nez et observa la salle à la recherche du blondinet. Il n’était pas le seul. Moins bruyant que tantôt, un brouhaha inonda la salle. Il y avait quelques changements. Le principal sujet de conversation était centré sur la localisation du génie de Kadic. Les interrogations se succédaient et le terrible constat parvint jusqu’aux oreilles du chef d’établissement. Belpois et sa bande n’étaient pas présents. Face à ce constat, un nouveau coup de tonnerre retentit dans le ciel, plus puissant que jamais, ajoutant de l’emphase à la situation. À ces bruits, des mugissements insondables et provenant de l’extérieur se mêlèrent au vacarme ambiant. Le silence retomba net et toutes les paires d’yeux étaient dirigées vers la porte d’entrée, attendant avec effroi ce qui allait pénétrer. Vingt secondes, trente secondes, une minute. Rien.
« Fausse alerte » songea le proviseur.
De l’autre côté des murs, la pluie tombait toujours à un rythme rapide et saccadé.
— M’sieur Moralès ! pouvait-on finalement entendre dans la cour.
Le regard de Delmas se figea aussitôt comme s’il venait d’entendre la voix d’un revenant. A ses côtés, le surveillant de Kadic fut plutôt troublé. Les cris ressemblaient à ceux d’une personne en détresse.
— M’sieur Moralès ! tonna à nouveau l’étranger au rythme des précipitations.
Il n’a pas fallu attendre longtemps pour deviner qui se cachait derrière cette voix masculine. En deux trois mouvements, la porte d’entrée fut à nouveau fracassée mais cette fois, ce n’était pas une mais, deux personnes qui franchirent le porche. Une fille et un garçon. Leurs visages déconfis, Jim les fixa longuement tandis qu’ils lui fonçaient droit dessus.
— Bon sang de pois, Belpois ! Où étiez-vous passé ? somma le professeur d’EPS.
Lui laissant peu de temps pour répondre à sa question, il l’assena d’une seconde question.
— Et où sont Della Robbia, Stern et Stones ?
— C’est justement ça le problème ! répondit le blondinet aux joues injectées de sang.
Essoufflé, il semblait éprouver des difficultés à atteindre l’estrade où Jim l’attendait nerveusement.
— Faut que vous alliez dans le parc ! ajouta Jérémie qui venait d’atteindre la taille de son professeur de sport.
— Ce ne serait pas encore une de vos blagues d’Halloween ? répondit-il suspicieux.
— Non m’sieur, c’est vrai ! ajouta Yumi tourmentée. William a été enlevé !
— Holà, holà ! Comment ça enlevé ?
À ses côtés, le proviseur n’avait pas encore dit un seul mot. Il semblait rester en retrait, faisant fi de ne pas entendre. Mais, il intervint aussitôt lorsque la japonaise prit la parole.
— Vous en êtes sûrs ? Interrogea-t-il. Je l’ai vu y a quelques minutes.
Il scruta la jeune fille de bas en haut comme s’il évaluait sa crédibilité sur base de son accoutrement. À l’occasion de cette soirée, la japonaise n’avait pas voulu choisir quelque chose d’extravagant. Après quelques essayages dans le local des costumes de monsieur Chardin, elle avait opté pour un déguisement des plus sobres. Une robe noire et une perruque de couleur verte.
— Mais non m’sieur ! Je vous assure ! Quelqu’un l’a kidnappé ! Il faut appeler la police ! dit hargneusement Yumi.
— Et qu’est-ce qui nous dit que ce n’est pas un de vos sales tours ?
A ces mots, elle regretta amèrement d’avoir solliciter leur aide. Elle aurait bien aimé régler ce problème à l’ancienne mais elle savait qu’elle ne le pouvait pas. Du moins, pas pour l’instant.
— J’étais présente ! Et j’ai tout vu !
Il ouvrit la bouche, s'apprêtant à dire quelque chose, mais fut interrompu.
— Très bien. Jim, rendez-vous dans le parc avec Belpois et Ishiyama.
Pris de court, il ne savait pas quoi dire. Fallait-il répondre aux élucubrations de ces jeunes un soir d’Halloween, songea le surveillant général.
— Euh vous en êtes sûr ? rétorqua-t-il ennuyé.
Le regard du proviseur indiqua qu’il n’était pas d’humeur à discuter. Il s’agissait d’un ordre.
— Très bien Jea…, reprit Jim. Je veux dire, Monsieur le proviseur.
— Je m’occupe d’appeler les secours, dit le proviseur.
Le téléphone à la main, il réfléchit quelques secondes. Il savait que la procédure, en cas de panne de courant, consistait à ne pas surcharger les lignes téléphoniques. « Sauf en cas d’urgence » se dédouana-t-il. Il aligna une série de chiffres sur l’écran et pressa le bouton d’appel. Après un long moment d’attente, la communication fut établie et son interlocuteur décrocha à la première sonnerie.
— On a un problème, fit Delmas soucieux.
*****
Une quinzaine de minutes plus tard, une première voiture de patrouille s’arrêta devant le collège. À l’intérieur, la radio grésillaient sans cesse et résonnaient à travers toutes les fibres du véhicule. Deux officiers étaient installés à l’avant et ne semblaient pas prêter attention à ce détail. L’un d’eux s’approcha de la console et finit par presser un bouton. Les bruits s’arrêtèrent net.
— Central, nous sommes devant le collège Kadic, fit une première voix avant de relâcher l’interrupteur.
La radio se remit à crépiter comme du popcorn jusqu’à ce qu’une personne au bout du fil l’interrompt.
— Bien reçu, voiture 34. Vous avez besoin de renforts ?
— Négatif, fit-elle à nouveau, clôturant ainsi la discussion.
Le second coupa le moteur et deux portières claquèrent violemment. Les agents investirent sans plus attendre la grille d’entrée et sonnèrent à la porte. Personne ne répondit.
Lassé, le plus bavard brisa le silence.
— Encore un canular, dit-il crispé. C’est le cinquième de la soirée.
Au loin, une silhouette se dessina dans la pénombre, s’avançant avec une impatience non dissimulée.
— Bonsoir ! Excusez-nous de vous déranger mais on nous a appelés à propos d’une disparition, demanda l’équipier qui n’avait pas dit un mot.
Haussant les sourcils, l’individu qui se cachait derrière les barreaux était stupéfait par cette affirmation.
— Une disparition ? Qui a disparu ? fit le responsable du parc, Michel Rouiller.
À peine ils voulurent répondre à sa question qu’un hurlement criard retentit dans tout le quartier, faisant déguerpir une nuée de volatiles. Comme si leur vie en dépendait, les deux officiers placèrent automatique leurs doigts sur l’étui de leur arme.
— Monsieur, je vais vous demander d’ouvrir cette porte et de reculer, ordonna l’agent de police.
— Central, besoin de renfort au collège Kadic.
— Bien reçu, répondit sèchement une voix.
L’homme ouvrit aussitôt la grille, laissant les deux agents se faufiler dans les ténèbres.
*****
Un petit groupe d’individus de tout âge s’était réuni dans le parc du collège Kadic. Après avoir quitté le bâtiment principal, d’autres personnes répondirent au cri de ralliement et rejoignirent le rassemblement.
— N’approchez pas ! dit Jim brandissant une main devant le visage inquiet de la prof de science.
— Ah bon et pour quelle raison ? répondit-elle sur un ton provocateur.
— C’est la procédure Suzanne.
— Qu’est-ce que vous en savez Jim ? Vous avez travaillé à la crime ?
— Oui. Mais vous comprenez que je préfère ne pas en parler.
Elle jeta un rapide coup d’œil autour de lui et tomba nez à nez sur une flaque visqueuse et jaunâtre étalée aux pieds d’un arbre.
— Oui, je comprends, conclu-t-elle narquoise.
À son tour, il jeta de furtifs regards autour de lui pour comprendre la réaction de sa collègue, avant de voir sur quoi elle était tombée.
— Ce n’est pas ce que vous croyez, s’écria-t-il désespérément, c’est la faute de Belpois !
Autour d’eux, les officiers accablaient de questions les potentiels témoins, veillant à prendre note chaque mot qui sortaient de leur bouche. D’autres agents allaient et venaient dans le parc, fouillant chaque parcelle au peigne fin, à la recherche d’indices.
Une nouvelle berline sombre et blindée s’introduisit dans l’enceinte du collège et s’arrêta entre une ambulance et une voiture de police. Cigarette en bouche et imperméable noir sur le dos, l’homme qui descendu était assez corpulent. Il jeta sa cigarette à moitié consommée sur un tas de débris sur le sol et rejoignit l’attroupement. Devant lui, un homme vêtu d’un survêt rouge et noir gesticulait dans tous les sens priant quiconque de ne pas s’approcher du parc.
— Bonsoir monsieur, je suis le commissaire Williams.
Il retira ses lunettes tuméfiées et les rangea dans la poche intérieure de son imper. A peine il dégaina sa main pour serrer celle de son interlocuteur, que ce-dernier la lui saisit en plein vol.
— Je peux savoir ce que vous faites ici ? ajouta le commissaire.
— Bonsoir commissaire, Jim Moralès au rapport !
L’officier récupéra hâtivement sa main et leva le cordon de sécurité afin de se frayer un chemin sur la scène de crime. Il examina attentivement chaque détail autour de lui. La scène de crime avait été recouverte d’une épaisse bâche transparente afin de protéger les éléments de la scène de crime.
— C’est vous qui l’avez découvert ? dit-il froidement et indifférent devant le corps sans vie à ses pieds.
— Négatif ! Ce sont ces jeunes.
Il indiqua du doigt un banc sur lequel un blondinet à lunette, enveloppé d’une couverture, était assis et qui répondait à des questions d’un autre agent.
— Je n’en vois qu’un, fit-il embêté.
— Oh, il s’agit d’Ishiyama. Elle doit être avec un de vos collègues.
Le commissaire examinait encore les lieux, cherchant un indice qui aurait échappé à ses hommes. Mais rien. Les lieux étaient suffisamment sombres pour n’entrevoir que les éléments les plus imposants. A première vue, il n’était pas possible de retracer le déroulement des évènements. La pluie semblait avoir balayé le peu d’indice qui aurait pu le faire. Soudain, le professeur de sport, qui observait avec rigueur le travail de l’officier, sentit une présence derrière lui. Il souleva la tête et vit un homme d’âge mûr qui dévisageait à son tour les lieux.
— Du nouveau ? demanda le proviseur.
— Non. Ils continuent de chercher…
A peine il eut terminé sa phrase qu’il se fit interrompre par le commissaire qui n’avait pas fini de lui poser des questions.
— Avez-vous vu quelqu’un d’autre s’approcher du corps ?
Jim prit quelques secondes de réflexion pour se remémorer les images dans sa tête.
— Non pas à ma connaissance, certifia le surveillant de Kadic.
Le visage du commissaire exprimait un certain doute. Visiblement, il semblait embarrassé par cette réponse qui ne lui convenait pas du tout.
— Il y avait bien l’un de nos pensionnaires qui était présent dans le parc avant notre arrivée, réfuta le proviseur qui s’était prié de ne pas intervenir jusque maintenant.
Cette réponse aiguisa rapidement l’intérêt du commissaire qui était toute ouïe.
— Ah ! Et qui était-ce ?, réclama le commissaire Williams.
D’un pincement de doigt, le proviseur ajusta ses lunettes, reflétant brièvement le visage de la personne devant lui.
— Stern, Ulrich Stern, dit-il calmement.
— Très bien, et où pourrais-je discuter avec cet élève ?
La bouche entrouverte, le proviseur s’apprêtait à répondre à cette nouvelle question lorsqu’il fut pris en aparté, de force, par le prof d’EPS.
— Dites Jean-Pierre, vous ne pensez pas qu’il faudrait d’abord contacter les parents ? questionna Jim.
— Monsieur Rouiller ! s’écria le proviseur. Pouvez-vous présenter cet officier à Monsieur Stern.
Sa réponse semblait être une question. Mais il n’en était rien. Il s’agissait d’un ordre. L’employé s’exécuta sans dire un mot et conduisit aussitôt l’officier au jeune homme qui était assis dans un recoin du parc, adossé à un arbre.
Pris en charge par un secouriste qui l’enroula de nombreux bandages, Ulrich était entouré depuis plusieurs secondes de ses plus proches amis.
— Est-ce que vous avez trouvez William ? demanda-t-il péniblement.
Silence gêné.
L’officier s’approcha à petits pas, profitant de son arrivée pour écouter la conversation des jeunes.
— Bonsoir petit. Je suis le commissaire Williams, dit-il avec un sourire aux lèvres.
— Comment te sens-tu ? ajouta-t-il.
— Comme une personne qui aurait reçu des coups à la tête.
— Bien, répondit-il amusé. Je vais commencer par te poser de simples questions afin de vérifier que tu as toutes capacités mentales. Est-ce que tu es d’accord ?
Ulrich avait déjà subi cet interrogatoire par l’urgentiste qui avait vérifié qu’il ne faisait pas un AVC. L’adolescent fit malgré tout un hochement de tête en signe d’approbation. Le policier sortit, alors, un bloc-notes et un crayon afin de noter les potentielles réponses.
— Comment t’appelles-tu ?
— Ulrich…, dit-il hésitant à donner son nom de famille qu’il semblait détester.
— Stern. Ulrich Stern, finit-il par avouer.
— Bien, quelle date sommes-nous ?
— Le 25.
— Excellent. Maintenant, sais-tu pourquoi je suis ici ?
— Parce qu’il y a eu un meurtre dans le parc, répondit-il terrifié.
— Et de quoi te souviens-tu ?
— J’ai vu un corps sur le sol et puis c’est le trou noir.
— Un seul corps, dit le commissaire prononçant chaque syllabe.
Il prit soin de noter ce qu’il venait d’entendre et dévisagea le jeune, comme s’il cherchait une lueur de mensonge dans son regard.
— Comment tu t’es fait ces tâches de sang ? dit-il tout en maintenant le contact visuel.
Ulrich ne répondit pas. Il fut interpellé par l’agitation qui gagna les forces de l’ordre et les nombreux agents qui trottaient en direction de la scène de crime. Il inclina la tête pour entrevoir quelques misérables détails mais son geste fut rattrapé par celui du commissaire.
— Quelles tâches de sang ? demanda Ulrich importuné.
— Celles sur tes manches.
Stupéfait, Ulrich ne voyait pas de quoi parlait Williams. Il releva délicatement ses bras, qui lui faisaient un mal de chien, pour jeter un coup d’œil à cette idée saugrenue. Tandis que l’adolescent contemplait ces éclaboussures qui n’avaient rien à faire sur lui, le commissaire ne put s’empêcher de relever de nombreuses marques de défense sur ses bras.
— Je ne comprends pas, jura Ulrich sous le regard ébahi de ses amis qui assistaient à la scène depuis le début.
Ulrich plongea rapidement dans un mutisme, refusant de répondre à la moindre question. Néanmoins, ce silence fut de courte durée. Un puissant vacarme se mis à ébranler les lieux du crime, tandis que le secouriste présent sur place s’accourra dans cette direction, munis de son brancard.
— Il est en vie ! s’écria quelqu’un à la voix perchée. Son pouls est très faible ! Et il faut l’emmener d’urgence à l’hôpital !
— Il est en vie ? Qui est en vie ? implora Ulrich.
Le commissaire ne prêta pas attention à ce revirement de situation et resta focaliser sur le cas d’Ulrich comme si la solution se trouvait en lui.
— J’aurais encore quelques questions à te poser, réagit froidement le chargé d'enquête. Nous appellerons tes parents en chemin.
Devant le regard médusé des quelques malheureux témoins, les sirènes hurlaient et les véhicules quittèrent une par une le collège. Aux pieds de la grille, deux silhouettes s’étaient installées attendant impatiemment de refermer la porte à ce vilain cauchemar. Tandis que le plus grand s'amusait à compter le nombre de voitures qui passaient devant lui, l'autre retira ses lunettes et se mit à les polir.
— L’hiver arrive… dit-il à son second. Et les évènements commencent à nous dépasser.
Fin du chapitre 4.
(en pause).