Vaellus – Épisode #4 : Œil pour œil
Un jeudi soir, dans la salle polyvalente du collège. Avec un peu de retard par rapport à l’an dernier, les collégiens organisaient les clubs périscolaires : des clubs en tout genre qui se réunissaient entre midi et deux ou le mercredi après midi. Les inamovibles Milly Solovieff et Tamiya Diop animaient le club reporter, qui publiait plus ou moins régulièrement la gazette du collège. Elles recrutaient des journalistes en herbes, surtout pour les rubriques spécialisées, car elles se réservaient la une pour leurs scoops. « Nous avons besoin de jeunes plumes pour le journal du collège », répétaient-elles. Bastien et Romain, de leur côté, tentaient de convaincre Jérémie d’intégrer le club d’échec.
- Ulrich nous a vanté tes talents. Nous avons besoin de bons joueurs comme toi, Jérémie.
- Oh, vous avez, ma stratégie consiste surtout à ne pas faire de grosses erreurs, c’est tout. Je fais de bons déploiements, mais j’ai du mal à anticiper les mouvements de l’adversaire, et je me concentre trop sur ma propre stratégie.
- Et bien justement, on est tous là pour apprendre ! Et pour s’amuser.
- Aller, Jérémie, lui souffla Ulrich. Ne fait pas ton asocial.
- Bon, d’accord, je viendrai.
- Super ! On pourra organiser des tournois.
Le problème dans ce genre de réunion préparatoire était que tout le monde manifestait un grand enthousiaste, voulait fonder des clubs sur tout, voyait les choses en grands, voulait s’inscrire partout, sous l’effet de la propagande intense des fondateurs de club et de l’ambiance euphorique du moment. La plupart des clubs imaginés sur le coup n’étaient pas fondés, et ceux qui l’étaient dépassaient rarement trois semaines. On évoquait un club photo, un club d’astronomie, un club informatique, un club peinture, un club jardinage, etc.
Yumi, accompagné d’Ulrich, s’avançait vers la table du club lecture. Ulrich commentait :
- Je me demande à quoi rime ce cirque. Ça ne sert à rien de s’inscrire, tout le monde peut venir dans un club, et personne n’est obligé d’être là à chaque fois.
Elle lui demanda :
- On s’inscrit au club lecture ? J’y allais de temps en temps l’an dernier, c’était assez sympa de parler bouquins, ça change du jargon informatique de nos deux petits génies.
- Ça c’est sûr ! Ça nous ferait des vacances de lire des livres…
- Tu sais quoi ? On devrait tous y aller, ce serait bien. Ça nous changera les idées. Déjà, ça plaira à Aelita, j’en suis sûr, vu qu’elle aime lire et en causer. Jérémie ne voudra pas, sous prétexte qu’il n’en a pas le temps, qu’il a trop de travail à cause de XANA, et que ça ne l’intéresse pas d’épiloguer pendant des heures sur des romans, qu’il préfère lire en solo. Pourtant, ça lui ferait du bien. Il travaille trop, son rendement en pâtit, c’est contre-productif.
- Odd n’aime guère lire sur commande…
- Oh, tu sais, le club lecture, ce n’est pas un cours, c’est très informel. À la limite, tu peux venir sans avoir rien lu.
- J’espère bien ! Moi non plus, je n’ai pas envie de me prendre la tête !
- J’aime quand tu fais ton rebelle, itoshii, lui murmura Yumi.
Yumi et Ulrich se promenaient main dans la main entre les groupes. Ces deux-là… Depuis leur premier baiser dans la salle des scanners, leur humeur avait considérablement changé. Yumi avait perdu de sa réserve ; elle était désormais avenante avec tout le monde, comme si elle n’avait plus besoin de son armure de glace avec Ulrich à ses côtés. L’humeur d’Ulrich était au beau fixe, il riait à toutes les vannes d’Odd, en faisait presque autant désormais, et affichait un sourire radieux quand Yumi était auprès de lui. Et ses sourcils s’étaient arrondis.
À quelques mètres de lui, Jérémie entendit Yumi glousser aux badinages d’Ulrich. Jérémie était abasourdi : il n’avait jamais entendu Yumi glousser auparavant…
- Ah, Jérémie, tu es là.
Jérémie se retourna en sursaut ; il était perdu dans ses pensées et la voix était forte. C’était Jim.
- Le proviseur a à te parler. Tu es libre ?
- Euh, oui, pourquoi ? marmonna-t-il.
- Rien de grave, rassures-toi. Et bien, si tu es libre, vas-y de suite.
Jérémie fit quelques pas vers Aelita et lui annonça :
- Aelita, je suis convoqué chez le proviseur. Rien de grave, d’après Jim. Je dois y aller de ce pas.
- Ah bon, s’étonna-t-elle. Il convoque à 18h, maintenant ? Enfin… Tu me diras de quoi il retourne.
- Bien sûr. À tout à l’heure.
La salle polyvalente du collège était au cœur de l’établissement, sous les chambres et proche des bâtiments administratifs. C’est pour cette raison que les événements musicaux se déroulaient usuellement dans la salle polyvalente de la bibliothèque plutôt que dans celle-ci.
Dans l’antichambre, le bureau de la secrétaire, madame Nicole Weber, Jérémie éprouva une légère appréhension. Pourtant, Jim lui avait précisé qu’il n’y avait rien de grave ; et, en matière de frayeur, le proviseur était insignifiant comparé à XANA. Peut-être qu’aller dans le bureau de monsieur Delmas était associé, dans sa mémoire, à des choses désagréables ? Le proviseur ne convoquait de toutes manières les élèves que pour des affaires sérieuses. La vraie raison de cette tension devait être que Jérémie était un peu fatigué et de mauvaise humeur. La mésaventure récente d’Ulrich le plongeait en effet dans des abîmes de perplexité ; cette histoire n’avait littéralement aucun sens. Seul lui et Aelita s’en rendaient compte. Ulrich aurait dû être accablé, mais il était amoureux, donc son esprit n’était absolument pas focalisé sur ce problème. Même chose pour Yumi : elle était tellement ravie par le dénouement de cette aventure qu’elle en oubliait le reste. Quant à Odd, il avait toujours trouvé bizarre, incompréhensible et incongru tout ce qui se rapportât à Lyoko et au supercalculateur. Il lui avait dit, sur le chemin du retour : « Tu sais, Jérémie, cette histoire d’ubiquité d’Ulrich n’est pas si folle que ça comparée au retour vers le passé ou à tes histoires de tunnels quantiques. On n’a qu’à dire que le continuum espace temps a beugé, voilà tout. Ou un truc dans le genre ».
Il n’avait pas tort, dans le fond, à ceci près que la mésaventure d’Ulrich était illogique. Jérémie et Aelita en étaient venus, au point où ils en étaient, à envisager les hypothèses les plus folles : anomalie spatio-temporelle, dimension parallèle, bug de XANA qui aurait aidé par erreur les lyokonautes… Ces théories étaient suffisamment folles pour avoir une chance d’être vraies.
Il frappa et entra.
- Bonsoir, Jérémie, content que tu as pu venir si vite. Assieds-toi, je t’en prie.
Jérémie s’assit et posa son regard sur le visage de monsieur Delmas.
- C’est à propos de la classe que je t’ai fait venir. Voilà, j’ai ouï dire que tu avais l’air de t’ennuyer en cours. C’est vrai ?
- Il est vrai que les cours de sciences ne m’apportent pas grand chose, reconnu Jérémie.
- Tu te souviens du test de QI que monsieur Klotz t’a fait passer l’an dernier ? Il n’a pas été dupe, il a bien vu que tu avais volontairement échoué à certaines questions. Nous avons compris que tu ne voulais pas être séparé de tes amis, c’est pourquoi nous avons laissé tomber l’affaire. Mais comme, depuis la rentrée, il s’avère que tu t’ennuies en classe, je remets la question sur le tapis. Je te propose une solution médiane : rester à Kadic mais passer en seconde, au lycée, par exemple dans la classe de ton amie Yumi Ishiyama. Qu’est-ce que tu en dis ?
Jérémie bredouilla :
- On ne peut pas sauter une classe comme ça ! En seconde, je n’aurais probablement pas de problèmes dans les matières scientifiques ; en revanche, dans les matières littéraires, et notamment en langues, je me vois mal sauter un an de cours…
- Il est clair que sauter une classe te donnera un surcroît de travail. Mais les défis ne te font pas peur, non ? Tu souhaites vraiment continuer à assister à des cours qui ne t’apportent rien ?
- Euh, non, je l’admets, mais…
- C’est un peu précipité, je comprends. Tu as le week-end, voire d’avantage, pour réfléchir.
- Est-ce que vous avez fait la même proposition à Aelita ?
- Aelita Stones ? J’y ai pensé, bien sûr, et j’allais t’en parler. Elle est très brillante dans toutes les matières, quoi qu’elle ne soit pas assez académique, selon ses professeurs. Mais le problème, c’est que je n’ai toujours pas eu ses parents. Je leur ai envoyé un courriel et j’ai laissé un message sur leur répondeur, et j’attends leur réponse ; je ne peux rien faire sans leur aval. En outre, son dossier scolaire est incomplet, il va falloir que je règle cela.
Aïe ! se dit Jérémie. Je suis censé recevoir un message à chaque appel sur le faux numéro des parents Stones. L’opérateur téléphonique a dû modifier ses installations.
- J’ai besoin d’un peu de temps pour y réfléchir.
- Bien sûr. J’ai conscience de brusquer un peu les choses, mais si tu vas en seconde, mieux vaut que ce soit le plus rapidement possible, étant donné que l’année scolaire est entamée. Tiens, voici une brochure qui passe en revue toutes les options de seconde disponibles au lycée Kadic. Réfléchis-y, parle en à tes parents, parles-en aussi à Aelita. Tu peux aussi aller voir Hans Klotz, évidemment, c’est notre COP. Puis revenez me voir tous les deux dimanche soir, je serai là.
- C’est compris. Au revoir, monsieur, et merci.
- Alors ?
- Delmas veut me faire passer en seconde, dit-il de but en blanc.
- Oh ? Il s’est enfin rendu compte de ton génie ? lança Odd.
- La proposition vaut aussi pour Aelita.
- Ah ? J’ai à peine eu le temps de m’intégrer dans ma classe, que voilà déjà qu’on veut m’en faire changer ?
- Aelita, tu sais très bien que tu as 20 ans d’existence. Tu n’es pas à ta place dans un collège.
- Ça c’est sûr. Je commence à m’ennuyer ferme en classe.
Jérémie se redressa et déclara :
- Je pense que nous devrions accepter la proposition.
- La classe de seconde est très généraliste, pondéra Yumi. Tu devras être bon dans toutes les matières. Mais enfin, vous connaissant, je sais que vous vous en sortirez. On pourra s’épauler, du reste. Vous me ferez partager votre science, je vous aiderai en lettres.
- Si on accepte, on entrera au lycée dès lundi… Ça nous donne le week-end pour accomplir notre nouvelle mission, annonça mystérieusement Jérémie.
- Quelle nouvelle mission ? demandèrent Yumi et les deux garçons.
- Suivez-moi dans ma chambre, ici c’est bruyant, inconfortable, et les murs ont des oreilles, fit-il en désignant Sissi du menton.
C’était l’une de ces réunions au sommet au cours desquels Jérémie réunissait les lyokonautes au grand complet dans sa chambre, pour leur exposer ses théories et ses nouveaux projets.
La chambre de Jérémie ressemblait plus à un hangar d’informaticien qu’à une chambre normale, avec son imposante installation informatique, le poster d’Einstein et les plans de son robot tueur en guise de décoration. Au début de la précédente année scolaire, il avait fait de la place dans ses appartements, reléguant ses livres chez ses parents, afin de se concentrer exclusivement sur le cas Aelita. Mais il avait accumulé, au cours de cette même année scolaire, de nombreux livres, classeurs, cahiers de notes, en rapport ou non avec Lyoko et XANA. Ainsi, sa chambre avait repris des airs de chambre d’intello, c’est-à-dire contenant une proportion importante de cellulose.
- Il y a deux semaines, XANA a engagé sur le champ de bataille de nouveaux soldats humanoïdes, pour nous affronter à armes égales, au corps à corps. Il a également entamé la mise en place d’un réseau de tours indépendant de la couche supérieure de la matrice. Un réseau de tour, non plus seulement infectées, mais totalement sous son contrôle. Je pense que nous devons faire de même. J’ai l’intention de créer mon propre réseau de tours. Nous devons prendre XANA de vitesse.
- Et, minute, papillon, fit Odd. La dernière fois que tu as voulu pirater une tour, ça ne s’est pas passé exactement comme prévu.
- Parce que je l’ai piraté depuis l’ordinateur de contrôle, c’est-à-dire à distance, comme XANA, mais moins habilement que XANA. Par contre, si on pouvait la pirater de l’intérieur, on pourrait en verrouiller complètement l’accès.
- C’est la que j’interviens, intervint Aelita. De l’intérieur de la tour et grâce au Code Lyoko, plus un nouveau programme dérivé d’un code source trouvé dans le journal de mon père, nous sommes en mesure d’arriver à nos fins.
- Je n’aime pas beaucoup ça, les amis. C’est périlleux. Aelita, tu étais la plus prudente d’entre nous, et voilà que tu pars tout feu tout flamme dans les combines de Jérémie…
- Eh ! Je sais ce que je fais ! Nous devons combattre XANA et libérer mon père, et ce programme est un bon moyen d’y parvenir.
- Ta confiance en Franz Hopper a changé du tout au tout…
- … depuis que j’ai recouvré la mémoire, et que j’ai compris que c’était un homme bon et compétent.
- Es-tu parfaitement objective ?
Aelita ne tint pas compte de la question et embraya :
- On ira au labo samedi matin.
- J’ai cours jusqu’à 10h, le samedi matin, moi. Et vous deux aussi, ajouta-t-elle en pointant Jérémie et Aelita, quand vous serez dans ma classe. Profitez bien de votre dernier samedi matin libre !
- Et bien, tu nous rejoindras à 10h, répondit sur le ton de l’évidence Jérémie, sourd aux sarcasmes.
- Bien, je le note sur mes tablettes : samedi, 10h : botter les fesses de XANA.
Ils éclatèrent de rire.
Le jour dit, à 9h (Odd n’étant pas particulièrement matinal), trois garçons et une fille aux cheveux roses sortirent du collège Kadic par la grande porte et se rendirent, pour une fois par la rue, dans l’usine désaffectée non loin de là. L’autre innovation du jour était que Kiwi accompagnait son maître, Odd. Le samedi matin était le jour du ménage, et Odd ne tenait pas à ce que son ami clandestin fût découvert par la femme de ménage (ou l’homme de ménage, mais cela revient au même).
Dans cette usine désaffectée se trouvait ce qui s’apparentait à un vieux monte-charge hors service. Seulement, ce monte-charge n’était ni hors service, ni particulièrement vieux, pour celui qui a une vague idée de l’âge moyen des vénérables ascenseurs de la capitale ; et ce n’était même pas un monte-charge, mais plutôt un ascenseur. Bien sûr, la différence est parfois difficile à saisir. Un élévateur peut être tout à la fois ascenseur et monte-charge, selon l’usage que l’on en fait, sachant que le mot ascenseur est réservé aux appareils dédiés aux personnes, tandis que le mot monte-charge s’emploie pour les appareils servant à faire passer des pondéreux d’un étage à l’autre. Généralement, on trouve les monte-charge dans les établissements industriels ou dans les administrations gourmandes en papier. Ce sont de robustes et puissantes machines, pas particulièrement élégantes, dont le plateau est large et dont la charge maximale dépasse la tonne. Les ascenseurs, en revanche, sont des machines généralement plus petites, moins puissantes, plus élégantes. On les trouve dans les immeubles d’habitation ou de bureau. Leur plateau est la plupart du temps recouvert d’une moquette, d’un paillasson, d’un linoléum, ou de tout autre revêtement à finalité décorative ou cache misère. Leurs parois aussi sont décorées, soit de métal poli, soit de plaques de plastiques imitant le bois ou tout autres matériaux dit noble. On y trouve souvent des miroirs. L’idée est qu’ils permettent à l’usager de se rendre compte, en arrivant chez quelqu’un ou en sortant dans la rue, d’un défaut sur sa personne : un épi rebelle dans les cheveux, une touffe de poils mal rasée, un bouton manquant au manteau, une cravate mal nouée, un maquillage coulant, etc. L’inconvénient, c’est qu’à la lumière blafarde des néons des ascenseurs, tout le monde devient moche et livide : les poches sous les yeux, les rides, les crânes dégarnis, les boutons sur la peau, les points noirs sautent aux yeux avec une impitoyable cruauté. Les adolescents sont tentés de mettre à profit le temps du trajet pour percer quelques bouton d’acné narguant, ou quelques points noirs inquiétants. Funeste idée ! Déjà, il est en soit périlleux d’éclater les boutons, mais dans un ascenseur, on a rarement les doigts irréprochablement propres et jamais de produit désinfectant à portée de la main (sauf peut-être quelques coquets personnages), de sorte qu’on provoque d’inévitables surinfections, aggravation d’acné, pousse de nouveaux boutons rouges vifs et violacés, cicatrices indélébiles, etc.
Ces différences morphologiques n’entraînent cependant pas de spécialisation absolue : si l’usager d’un ascenseur a des valises avec lui, l’ascenseur fait aussi office de monte-charge, de manière concomitante ; et la plupart du temps, les monte-charge montent aussi des personnes, puisque à l’heure actuelle très peu de chariots, diables, palettes, sont équipés de pilote automatique. Néanmoins, il peut arriver qu’une charge fasse le trajet seul, parce que le manœuvre sait qu’un collègue attend devant l’appareil la charge utile, et prendra le relais une fois la charge arrivée à destination.
Une autre question mérite qu’on s’y attarde : pourquoi avoir choisi les mots « monte-charge » et « ascenseur » ? Après tout, la moitié du temps, ces appareils vont de haut en bas. Alors, pourquoi pas baisse-charge ou descendeur ? Tout simplement parce que c’est dans l’élévation que réside leur principal intérêt, étant entendu qu’il est plus facile de se déplacer dans le sens de la gravité qu’en sens inverse. Autrement dit, c’est dans l’élévation, la montée, que le service rendu est le plus grand.
Ces réflexions, digne d’un mauvais imitateur de Georges Perec, parcouraient de temps à autre l’esprit véloce de Jérémie, qui avait la fâcheuse tendance à sur-analyser tout et n’importe quoi ; ou encore l’esprit fécond de Yumi, qui aimait méditer sur le sens des mots ; et même parfois l’esprit curieux d’Aelita, pour qui les choses n’allaient pas de soi, et pour qui les petits détails mérite qu’on s’y attarde.
Comme à l’accoutumé, Jérémie sortit le premier de l’ascenseur, au premier sous-sol, laissant les autres continuer jusqu’au deuxième sous-sol. À ce détail près que Jérémie était affublé de Kiwi. Il laissa le chien gambader dans la salle de contrôle, sous les néons blafards qui donnaient à toute la pièce une coloration verdâtre, et s’installa comme à l’accoutumé sur son fauteuil d’opérateur. Il démarra la machine, qui n’était qu’en veille, chargea l’interface avec Lyoko et les différents programmes de transfert. Comme à l’accoutumé, les scanners, une fois sous tension, s’ouvrirent et s’illuminèrent. Les trois lyokonautes prirent place et écoutèrent les commentaires de leur opérateur, qui annonça, une fois les portes refermées :
- Je vous envoie dans le territoire de la forêt, près d’une tour désactivée : 20° longitude nord – 45° latitude ouest. Transfert Odd, transfert Ulrich, transfert Aelita… Scanner… Virtualisation !
Les trois lyokonautes apparurent à l’endroit prévu dans le sillage des chevrons numériques, et tombèrent en douceur sur le sol mousseux.
- Aucune créature de XANA en vue. Cette portion du territoire est déserte. Aelita, tu peux y aller. Les autres, montez la garde devant la tour.
Une fois Aelita dans la tour, Jérémie se réjouit :
- Commençons notre travail. Comme il s’agit de la première tour, nous allons tâtonner, ça va prendre du temps. Ce sera plus rapide ensuite.
- Bien reçu, Einstein. Aurais-tu l’obligeance de nus envoyer nos véhicules ? Histoire de ne pas trop s’ennuyer en attendant.
- Vos désirs sont des ordres, Sire. Je vous les envoie tout de suite.
Pendant ce temps là, Yumi assistait au cours de latin. La classe planchait sur une version : un texte de Tite-Live, l’historien officiel de l’Empereur Auguste. Son style était relativement simple, en tout cas il ne posait pas de difficulté particulière à Yumi. Madame Fosse la prof de lettres classiques, demanda à la cantonade :
- Bon, vous devriez avoir bien avancé, là, qui veut commencer ?
Yumi leva le doigt.
Sur Lyoko, Odd et Ulrich organisaient une parodie de la course de char de Ben Hur, autour d’une rangée d’arbres ; ils s’amusaient comme des petits fous. Pour ne pas les assommer avec les discussions techniques, Jérémie communiquait en circuit fermé avec Aelita (‘com4_Aelita on’), ce qui ne l’empêcha pas de les rappeler à l’ordre une fois :
- Hé oh ! Ne prenez pas de risque, les enfants ! Il ne manquerait plus que vous perdiez des points de vie avant même l’arrivée des sbires de XANA…
- Ça y est, Jérémie. J’ai fermé tous les sockets.
- Bien. Tu peux compiler en sécurité le code du nouveau pare-feu. J’espère que les bibliothèques internes seront compatibles.
La sonnerie du lycée retentit, annonçant la fin des cours. Yumi fila vers l’usine au pas de course.
- Pare-feu installé !
- OK, je t’envoie le régulateur asynchrone, le générateur de clé et les mises à jour.
- Ça roule, je configure le tout.
Un quart d’heure plus tard, Aelita déclara :
- Mises à jour effectuée. Programmes préinstallés. Je reboote la tour.
- D’accord, je coupe la ligne.
Aelita désactiva la tour grâce à son code Lyoko et réinitialisa le nouveau système. Les portes s’ouvrirent derrière Jérémie et une voix lui dit :
- Me voilà. Où en êtes-vous ?
- Toujours rien du côté de XANA. Mais Aelita est en train de redémarrer la tour. Et ça, Aelita le détectera. Descends aux scanners, je t’envoie tout de suite avec les autres.
Peu de temps après, Yumi avait rejoint les autres sur Lyoko. Les garçons s’étaient sagement garés ; Aelita sortit de la tour, dont le halo vert se fondait dans le paysage forestier.
- Ça y est, la tour est totalement sous notre contrôle ; XANA va réagir et nous attaquer.
- Et bien fonçons tout de suite à la tour la plus proche, proposa Yumi.
- C’est à la tour la plus proche d’ici que XANA doit être en train de placer ses premiers monstres, coupa-t-elle. Il va donc nous falloir un maximum de puissance de feu. Tu es prêt, Jérémie ?
- Tout est prêt ici. Transfert imminent.
- Jérémie va nous rejoindre ? s’étonna Yumi. Mais qui sera notre opérateur ?
- Jérémie peut accéder à l’ordinateur de contrôle depuis Lyoko, précisa Aelita. Mais toutes les fonctions ne sont pas disponibles, dont celles qui sont nécessaires au piratage des tours. De toutes façons, ce n’est pas Jérémie qui doit nous rejoindre.
- Exact, Aelita, ce n’est pas pour cette fois. Les autres, ouvrez bien grand vos yeux et préparez-vous à une surprise. Transfert… Kiwi ! Scanner, Kiwi ! Virtualisation !
Les chevrons effectuèrent leur habituel mouvement en spirale, mais à l’horizontal. un Kiwi de la taille d’un bœuf apparut sous les yeux médusés des lyokonautes.
- Kiwi… mon chien ! laissa échapper Odd d’une voix rendue encore plus aiguë que d’habitude par l’émotion. Kiwi sur Lyoko !… Mais, mais… Il est énorme !
- Tu peux dire merci au monolithe noir, expliqua Jérémie. Souviens-toi de ce que je t’ai dit : il permet d’accroître la densité moléculaire d’un corps numérique ; autrement dit, à densité constante, il permet d’en accroître le volume !
- Ah ! C’est tout de suite plus clair, là, ironisa-t-il. Mais, Kiwi n’est pas un lyokoguerrier ! Déjà qu’il n’est pas fichu d’obéir à mes ordres…
- Tu n’as donc pas encore compris, Odd ? fit Aelita, en pointant le grand chien.
- Je commence à comprendre. Ce truc sur son dos, c’est une selle, et attaché à son coup, c’est une bride, donc…
- Bingo ! gronda Aelita.
Elle s’élança alors vers Kiwi et, d’un saut majestueux, atterrit sur la selle, et agrippa la bride.
- Kiwi est mon fidèle palefroi, et je compte bien en faire un destrier ! déclama-t-elle en brandissant le poing droit en avant. Aller, mon chien ! En avant !
Kiwi s’élança et, sous la direction d’Aelita, fit le tour de la tour au trot.
Ulrich avait les yeux tellement écarquillés…
- Kiwi est ton… véhicule ?
- C’est que j’en avais marre de la place arrière de l’overwing. Maintenant, on a un véhicule par personne. Je ne te compte pas dans la liste, Jérémie, tu ne m’en veux pas ? Tu es plutôt une guest star, le taquina-t-elle. Aller, Odd, ne fait pas cette tête ! Suivez-moi, les amis, je vous raconterai tout en chemin !
Kiwi trottait d’un bon pas, ou marchait au trot, selon le point de vue : les chiens en général et Kiwi en particulier n’avançant pas comme les chevaux, on peut utiliser le vocabulaire avec une certaine liberté. Il avançait les yeux écarquillés, se rabattant sur la vision pour s’orienter dans ce monde sans odeur. Il balayait son long museau de droite à gauche, comme un aveugle sa canne blanche, et restait attentif à tous les ordres de sa cavalière. Aelita raconta l’histoire de sa monture :
- Tout a commencé cet été, quand tu m’as confié Kiwi pendant les vacances. Tu devais rejoindre tes parents à Londres et l’importation d’animaux au Royaume-Uni est strictement réglementée. J’ai donc gardé Kiwi pour quinze jours, en compagnie de Jérémie. Nous lui avons créé un profil sur Lyoko, puis nous l’avons virtualisé avec moi sur une zone sûre du territoire du désert – celle où se trouve la caverne – pour l’entraîner. À l’époque, Kiwi avait une taille normale, puisque Jérémie n’avait pas encore activé la pierre noire. Au début, il était désorienté sur Lyoko. La pauvreté des sensations tactiles, l’absence totale de sensations olfactives, l’a beaucoup perturbé. Il lui a fallu du temps pour s’y faire, mais il s’en est remarquablement bien sorti. Je l’ai aussi habitué à être monté, en lui attachant sur le dos une poupée de ma création, aux bonnes proportions, que Jérémie articulait depuis la salle de contrôle grâce à un vieux programme de simulation de mon père. Petit à petit, il a appris à comprendre et à suivre les ordres du cavalier. Quand tu es rentré d’Angleterre, Kiwi était fin prêt pour combattre XANA ; ne restait plus que le problème de sa taille, que Jérémie a résolu en activant la pierre noire et en intégrant les particules virtuelles totipotentes au corps de Kiwi pendant le processus de transfert.
La voix off de Jérémie résonna :
- Désolé de devoir t’interrompre, Aelita, mais la tour désactivée est en vue. Je zoome dessus.
- Quelle est la composition de la garde, mon cher ?
- Essentiellement des Kankrelats, plus deux Krabes. Mais je te parie ma webcam que ce n’est que l’avant-garde des forces de XANA.
- Tant mieux, je vais pouvoir tester ma nouvelle monture contre ces éclaireurs. Kiwi, prépare-toi à ton baptême du feu !
Deux Krabes montaient la garde devant la tour, entourés de Kankrelats en formation dispersée.
- Je prends celui de gauche, et toi celui de droite, Yumi, proposa Ulrich.
- D’accord.
- Et moi, je mitraille en rase motte la vermine, comme d’habitude.
- Et moi je fonce dans le sillage d’Ulrich, conclu Aelita.
Les lyokoguerriers s’élancèrent.
Les éventails de Yumi fendirent la masse des kankrelats ; Ulrich tranchait tous ceux qui s’approchaient à sa portée. Kiwi, guidé par Aelita, se jeta dans la mêlée. Il évita habilement les tirs ennemis, grâce à ses esquives instinctives ou commandées par sa cavalière, et grâce à ses mouvements, inhabituels sur Lyoko, qui rendaient difficile l’ajustage des tirs. Et puis, en plus de son attaque contre le krabe, à qui il renvoyait ses propres tirs, Ulrich réfléchissait quelques tirs adressés à Aelita et à sa monture. La vitesse de Kiwi lui permit de culbuter plusieurs kankrelats. Puis, à la force de son museau surdimensionné, Kiwi désarticula quelques kankrelats qui s’étaient imprudemment avancé vers lui. Ulrich épattait (avec deux t), comme il aimait à le dire, le Krabe blessé, qui avait cessé de tirer. Yumi tailladait déjà le deuxième. Odd abattait un à un les kankrelats qui avaient échappé au massacre.
- Notre victoire est totale ! exulta Ulrich, sabre en labarum.
- Tu vas un peu vite en besogne, Ulrich. Créatures volantes en approche au sud-est. Elles ressemblent à des Frôlions, sans en être. Soyez sur vos gardes. Aelita, ne traîne pas.
- Je rentre dans la tour. Ulrich, reste ici pour monter la garde et couvrir Kiwi, dit-elle en sautant à terre et en passant la muraille.
Odd et Yumi étaient déjà en vol, filant droit sur la formation hostile. Mais le feu nourri des insectes obligea les lyokonautes à rompre leur formation, non sans avoir fait mouche à une reprise, abattant l’un des six ennemis. Ils étaient à présent pourchassés entre les arbres.
- Ces bestioles sont plus sveltes et plus nerveuses que des frôlions, constata Jérémie. Ça va être dur d’ajuster votre tir.
- C’est là que tes gadgets vectoriels interviennent, Einstein ! Flèche laser !
L’insecte esquiva d’un déhanchement gracile, ou plutôt d’un désabdomennement gracile.
- Étonnant ! s’exclama Yumi. Je propose qu’on les baptise vespas. Guêpes en latin, et également…
- C’est adopté ! coupa Odd, qui n’avait que faire des détails étymologiques.
- Binôme à 23°, informa Jérémie. Volez en rase motte !
Yumi fit une périlleuse volte-face et lança ses deux éventails sur ses poursuivants. L’un d’entre eux fit mouche, mais le vespa restant toucha son overwing, qui fut parcouru d’étincelles bleutées et secouées d’inquiétants soubresauts.
- Je suis touchée !
- Alors, saute, l’enjoignit Jérémie. Odd va te couvrir.
- Peux pas ! maugréa Odd.
- C’est bon, ça va tenir, au moins le temps d’un second passage.
Yumi vira sec et lança son éventail sur une vespa, qui eu le temps de tirer avant d’être coupée en deux. Le rayon fit exploser l’overwing et Yumi s’écrasa au sol comme une poupée de chiffon.
Odd n’arrivait pas à se défaire de ses poursuivants. Ils étaient d’une agilité étonnante.
- J’en ai deux au cul, impossible de les semer !
- Fonce-moi dessus, je m’en charge, proposa Yumi.
Odd, sans réfléchir, obtempéra
- Les tirs se resserrent, je suis cuit !
Il était maintenant proche de Yumi. Celle-ci lança promptement ses deux éventails, qu’Odd évita de justesse. Les deux vespas, qui ajustaient leur tir dans le sillage de l’overboard, n’eurent pas cette chance : leurs œils de XANA reçurent deux impacts et ils explosèrent.
- C’était de justesse, mais dans le mille !
Le dernier vespa battit en retraite.
- Non, Odd, ne part pas à sa poursuite ! C’est une tactique grossière pour nous attirer loin de la tour, l’avertit Yumi. Je mettrais ma main à couper que XANA s’apprête à attaquer Aelita à revers ! Rejoignons-la vite.
Joignant le geste à la parole, elle sauta sur la planche d’Odd et s’accrocha à ses hanches.
- C’est contre ces bêtes là que je regrette le plus mes flèches à tête chercheuse. Dommage que ce n’étaient de des leurres, des illusions crées par XANA pour nous berner.
- Ne me rappelle pas des souvenirs douloureux. On s’est bien fit avoir, sur ce coup là.
- Tu as vu juste, Yumi, les interrompit Jérémie. Je détecte des monstres au sud de la tour.
- Je me charge de les intercepter, proposa Ulrich. Couvrez-moi quand vous serez sur place.
- Tour en vue, observa Yumi. On attaque par le nord-ouest ; Ulrich, attaque par le nord-est. On va les prendre en étau.
- Bien reçu. Où en es-tu, Aelita ?
- Ça avance.
- J’aimerais bien monter Kiwi, pour voir, déclara Odd.
- Tu peux, lui assura Aelita. Je n’en ai pas encore fini ici. Mais ne t’éloigne pas trop, il me le faudra si je veux me rendre à une troisième tour.
- OK. Yumi, tu sauras te débrouiller seule sur l’overboard ?
- Au point de te faire passer pour un charlot, mon cher !
- C’est ce qu’on va voir. Go !
Odd sauta du véhicule et atterrit sur ses quatre pattes, près de son fidèle compagnon.
- Alors, Kiwi, on se la coule douce pendant que les autres sont au combat ?
- Ouaf, ouaf ! aboya Kiwi.
- Tu veux te farcir quelques affreux ?
- Grrr… ! grogna Kiwi.
- Allons-y, alors !
Et il sauta sur le dos du chien, pile sur la selle ; Kiwi s’élança sans crier gare.
- Eh !
Odd eut quelques difficultés à se stabiliser. Ayant fait du poney dans son enfance, il prit rapidement le pli et dirigea Kiwi selon son instinct et en reproduisant les gestes d’Aelita. Kiwi s’adaptait remarquablement bien : Lyoko venait de révéler l’un de ses talents cachés.
- Ça secoue un peu, nota-t-il.
- N’est-ce pas ? dit Aelita. C’est pour cette raison que Kiwi est la monture idéale d’un lyokonaute désarmé ; il ne gêne pas le tir et pallie l’absence d’arme par ses capacités offensives propres.
- Le gadget vectoriel machin de correction devrait compenser.
- Espérons-le.
Ulrich vit la formation ennemie. C’était un carré compact de monstres. Derrière une ligne de huit blocks se dressaient deux lignes de krabes, suivit d’une nouvelle ligne protectrice de huit blocks. Les flancs étaient aussi protégés par des blocks : cinq de chaque, en comptant ceux de l’extrémité des lignes principales. Soit un total de 22 blocks et huit krabes avançant lentement vers la tour. Ulrich s’avançait prudemment vers la légion de monstres. Il réfléchit quelques tirs longue portée ; le tir cessa : XANA avait compris la leçon. Mais le samouraï savait que s’il s’approchait trop, à portée offensive, il serait pris entre des tirs croisés.
- Seul, je ne peux rien faire, déplora-t-il.
- Je vois ça, constata Jérémie. Nous ne viendrons à bout de ces monstres que par les airs.
- La stratégie de XANA est bien rodée. Il envoie les vespas pour éliminer les véhicules volants, afin de nous empêcher d’attaquer son armée à son point faible.
- Il ne faut pas attaquer de face, à cause des tirs croisés ; il faut qu’on attaque un angle de face, estima Jérémie. Si vous attaquez tous le même, en même temps, sur terre comme dans les airs, vous avez de bonnes chances de briser la ligne.
- Bien reçu, mon général. On va attaquer le coin avant droit – gauche pour nous. C’est l’angle où l’on aura la plus grande marge de manœuvre. Mais même là, ce sera très juste, on sera obligé de frôler le précipice.
Odd arrivait depuis la tour, et se rangea aux côtés de son ami. Plus haut dans le ciel, Yumi, sur un overboard dont elle apprivoisait encore le maniement, se préparait à l’assaut ; ses principales cibles étaient les Krabes.
- Au fait ! s’exclama Yumi, XANA ne connaît pas ma nouvelle arme. Si je pouvais m’approcher suffisamment, je ferais des ravages dans ses rangs serrés.
- Bonne idée, Yumi, dit Ulrich. On te couvre ?
- Oui, je serai trop occupée pour esquiver les tirs.
- C’est parti ! Odd, reste le plus près possible de moi !
Après une large courbe sur leur gauche, les deux lyokoguerriers foncèrent droit sur l’angle de la cohorte des blocks. Ulrich brandit son arme et fit usage de son pouvoir de charge héroïque ; son sabre s’illumina et un halo l’enveloppa, lui, Odd et Kiwi. La lumière éblouit les monstres de XANA, qui ne pouvaient plus ajuster leur tir. Yumi en profita pour prendre de l’altitude et, lancée à pleine vitesse, elle jeta ses deux éventails en prononçant ce mot : « Taïfû ! ». La tornade se forma entre les deux demi-disques tournoyants, et s’avança, menaçante, vers les lignes ennemies. Les krabes et quelques blocks ouvrent le feu sur la tornade. Ceux qui se défendaient contre l’attaque terrestre des garçons furent balayés par Ulrich, Odd et Kiwi qui, protégés par leur bouclier de lumière, enfoncèrent sans difficulté la ligne ennemie. Kiwi éperonnait les blocks tandis qu’Ulrich en frappait à l’œil. puis ce dernier se tourna vers ses adversaires favoris, les krabes, pour leur trancher les pattes. De l’autre côté de la mêlé, et bien que déviée de sa trajectoire initiale par les impacts, la tornade, dirigée par Yumi, causaient des ravages sur l’aile gauche de la légion de XANA.
S’ensuivit, après le passage du Taïfû, des combats au corps à corps dans un certain chaos stratégique. Ulrich était à l’abri sous un krabe survivant, immobilisé par la perte de ses deux pattes arrières. Peu de monstres osaient lui tirer dessus ; ceux qui le faisaient voyaient leurs rayons revenir sur eux. Kiwi renversait les blocks à sa guise, essuyant quelques tirs au passage ; Odd mitraillait les blocks plus lointains. Depuis l’overboard, Yumi taillait de ses éventails la ligne arrière de blocks, qui avait gardé à peu près sa cohésion initiale. La plupart des blocks préférèrent tirer sur Yumi plutôt que sur les éventails. La tactique paya, au prix de la destruction de presque tous les blocks de la ligne, car l'overbike fut détruit. Yumi tomba et, se relevant face à trois cubes jaunes survivants, elle fut dévirtualisée.
Ulrich, contrarié, se triplica et régla leur compte aux trois insolents. À la fin, ne restaient plus qu'Ulrich sur son overbike et Odd sur son chien.
- Kiwi a perdu beaucoup de points de vie, constata Jérémie. Aelita va devoir le soigner. Aelita, tu en es où ?
- J’ai fini, réinitialisation terminée, je sors de la tour.
Les deux garçons eurent tôt fait de rejoindre Aelita.
- Et bien, ça a chauffé, à ce que je vois ! commenta-t-elle.
Elle posa sa main sur le museau de Kiwi.
- Je sens qu’il a perdu beaucoup de points de vie. Heureusement, j’ai ce qu’il lui faut. Descend, Odd !
Une fois Odd a terre, Aelita pris la tête de Kiwi entre ses mains et entonna son ineffable chant de sirène. Un halo bleu irradia de sa main et enveloppa l’animal.
- Voilà, Kiwi est guéri. À votre tour, les garçons !
Jérémie observait avec bonheur les bienfaits du pouvoir d’Aelita. Il considérait aussi, avec satisfaction, son réseau indépendant de tours, maintenant opérationnel puisque qu’il comportait deux tours, isolées de la matrice mais reliées entre elles par une connexion sub-matricielle. Bientôt, une 3ème tour s’ajouterait aux deux premières. Il était en train de prendre XANA de court. Lui pouvait, grâce à Aelita, désactiver les tours de XANA ; mais celui-ci ne pouvait faire de même.
- C’est bon, on peut y aller, déclara Aelita. C’est reparti pour un tour ! Ou plutôt devrais-je dire : c’est reparti pour une tour !
Elle se jucha de nouveau sur le dos de Kiwi ; Ulrich et Odd prirent place sur l’overbike, et ils prirent le chemin de la tour suivante.
- Pas de monstres en vue.
- Et bien, XANA se dégonfle ? s’étonna Odd.
- Je ne crois pas, répondit Jérémie. Simplement, vous lui avez donné une bonne leçon. Maintenant, il doit reconstituer ses troupes. Et il a compris que virtualiser seulement quelques monstres ne lui servirait qu’à perdre ses soldats inutilement. C’est le calme avant la tempête, il est en train de rassembler une armée, à mon avis.
Aelita entre sans plus tarder dans la tour. Elle s’identifia et se connecta au système de la tour.
Sur son écran, Jérémie vit apparaître un message d’erreur de nature inconnue.
- J’ai un retour inconnu, dit-il. Aelita, tu as fait quelque chose de spécial ?
- Non, je suis en train d’isoler la tour, comme je l’ai fait pour les deux autres.
- Ah bon. Ce n’est pas le premier message d’erreur bizarre que l’on reçoive. Ni le dernier, d’ailleurs.
Yumi, qui s’approchait de l’opérateur, s’étonna :
- Alors, comme ça, tu reçois des flopées de messages d’erreur lorsque nous sommes sur Lyoko, et ça ne t’affole pas plus que ça ?
- Euh, pas des flopées, mais disons que ça arrive, bredouilla-t-il. Quand ça concerne les systèmes principaux, je m’en inquiète, mais la plupart du temps, ils viennent de programmes ou de sections secondaires. Par exemple, dernièrement, j’ai reçu plusieurs signaux bizarres d’une portion vide de la mer numérique. Ça, c’est un signal secondaire sans grande importance. Le supercalculateur et Lyoko sont des systèmes extrêmement complexes, qu’il est impossible de maîtriser totalement.
À ce moment là, les cartes d’Ulrich, d'Odd et de Kiwi disparurent.
- Hein ? Qu’est ce qui se passe ? Ils viennent d’être dévirtualisés !
Deux minutes plus tard, les portes du scanner s’ouvrirent.
- Qu’est-ce qui s’est passé ? demandèrent-il en chœur. Et où est Aelita ?
- Toujours sur Lyoko ; elle n’a pas été dévirtualisée. Une sous-fonction du noyau a été activée ; j’ignore pourquoi. Apparemment, l’isolement des tours a entraîné un manque de mémoire pour la matrice.
- Je ne comprends pas tout, là, dit Ulrich.
- La matrice travaille par le truchement des tours ; en isolant les tours, nous avons privé la matrice de mémoire. Au début, ce n’était pas grave, mais avec trois tours en moins, ça commence à poser problème. C’est pourquoi une sous-fonction de sécurité s’est activée et a évacué tous les lyokonautes de Lyoko. Aelita est restée car tant qu’elle reste dans la tour modifiée, elle reste isolée de la couche supérieure de la matrice.
- C’est de ma faute, intervint Aelita, dont le visage apparut sur l’écran de contrôle.
- Comment ça ?
- J’ai isolé toute la mémoire allouée aux tours. Or, les tours de notre réseau ont besoin de beaucoup moins de mémoire pour fonctionner. À vrai dire, le cache suffit ; les tranches de mémoire centrale ne sont pas utiles. Il suffit donc de ré allouer la mémoire excédentaire à la matrice.
- OK. On va s’y mettre tout de suite. Les autres, vous pouvez rentrer, votre mission est terminée.