Espoir
-Hé, mademoiselle !
L'interpellation la sortit de ses songes. Le jeune homme ne semblait pas connaître son quartier... sûrement un nouveau déporté, encore...
-Oui ?réagit-elle.
-Je vous ai demandé où se trouvait la rue n°6.
-Ah... euh... eh bien, vous voyez la rue n°11 ?
-Pas du tout.
Fraîchement débarqué, alors, s'il ne savait même pas où étaient les rues.
-Haaaa... soupira-t-elle. Prenez... à droite, puis la deuxième encore à droite, et tout droit jusqu'aux bâtiments en construction et...
-Mademoiselle ?
-Quoi ?
-Après les bâtiments en construction ?
Elle avait encore perdu le fil. Décidément, ce garçon l'hypnotisait...
-Vous y serez.
-D'accord, merci beaucoup. Au revoir !
Elle le regarda s'en aller ; il évoquait en elle un vague souvenir... un de ses précieux souvenirs du temps de la liberté... Elle ne s'attarda pas plus, ces souvenirs si spéciaux lui faisant monter les larmes aux yeux. Elle s'efforça de l'oublier... mais voilà : cette même scène lui revenait en rêve chaque fois qu'elle fermait les yeux.
C'est sans aucun doute que cette scène contenait un détail dérangeant que son cerveau avait occulté pour d'obscures raisons. Elle le savait d'un des rares livres de psychologie qui n'étaient pas censurés qui se trouvait dans sa bibliothèque. Donc, depuis, elle tentait de se remémorer les moindres esquisses du jeune homme qui la fascinait tant...
Et ce jour-là, ce dont elle se souvint la frappa de plein fouet pendant qu'elle faisait ses courses. Ce garçon...
Elle le revit très distinctement partir, mais elle entraperçut un éclat d'un bleu laiteux qui dépassait à peine de sa veste de sport.
Elle sortit de ses souvenirs, mais resta paralysée par l'ampleur de cette découverte.
-Hum hum !fit le vendeur, pressé.
Elle tremblait, mais parvint tout de même à bouger et paya ses achats. Le vendeur lui appliqua un tampon sur la main, l'empêchant de revenir jusqu'à ce que l'encre, conçue pour s'effacer à un moment précis, ne disparaisse. Elle observa le tampon et repéra l'inscription « 168 H ». Elle ne pourrait donc pas faire d'autres achats avant une semaine. Certains trouvaient ce système absurde, mais c'était une question de budget : si quelqu'un avait un soudain regain d'argent (souvent illégal), ce gain était effacé avant la fin de la semaine, avant que la marque ne disparaisse.
En clair, les maigres salaires étaient distribués en début de semaine, et ne pouvaient servir qu'une fois, car l'argent qui restait en fin de semaine était annulé, remplacé par le salaire suivant, tout cela évitant que des gens économisent. Seuls, les boulangeries et autres magasins indispensables n'utilisaient pas de tampon.
Elle sortit, le regard perdu, la gorge serrée, les lèvres tremblantes et les mains crispées. Elle rentra mécaniquement chez elle, plus par réflexe que par volonté, et ne vit même pas les hommes effrayants en uniforme qui se tenaient devant la porte de l'immeuble.
-Arrêtez-vous !
La voix la tétanisa. Ça ne pouvait être que ça, quoi d'autre ? Le policier s'avança vers elle et lui demanda ses papiers. Maintenant, elle devinait clairement le médaillon bleu clair du jeune homme à travers sa veste, frappé d'un papillon stylisé. Elle obtempéra, sachant pertinemment ce qui l'attendait.
-Oui, dit-elle d'une voix blanche.
-Venez avec nous.
La voix ferme du policier ne lui laissa pas le choix. Elle le suivit donc jusqu'à un bâtiment qu'elle redoutait depuis toujours...
Le commissariat. Un imposant bâtiment, tant par sa forme que par sa signification. Elle entra avec une appréhension grandissante.
Après une courte attente, elle pénétra dans une vaste salle terne, dont la seule touche de couleur se situait sur le badge du commissaire. Tout comme les policiers, ses iris étaient totalement occultés par ses pupilles au motif étrange : un point, dans un cercle, encerclé lui-même par un autre à quatre branches, dont trois se situaient en bas et une en haut. C'était un des mystères qui planait sur cette ville, et sûrement dans le monde entier : pourquoi toutes les forces de l'ordre possédaient-elles l'emblème de la capitale à la place de leurs pupilles ? Personne ne le savait. Mais ces yeux, bizarrement familiers, lui rappelaient les mêmes souvenirs que ce garçon...
-Hier soir, 18h21, débita le ton morne du commissaire.
Elle leva la tête, sans pour autant le regarder dans les yeux.
-Vous avez communiqué avec un individu de sexe masculin provenant du Quartier Bleu clair. Vous lui avez indiqué la destination qu'il demandait, ce qui lui aurait permis, sans notre intervention, de faire sauter ce bâtiment. C'est pourquoi je vous désigne complice d'attentat aux forces de l'ordre et vous arrête.
Elle ne prit pas la peine de répondre, sachant que c'était inutile. Les deux policiers lui passèrent les menottes et l'emmenèrent. Elle vit l'espace d'un instant ses affaires éparpillées dans une salle attenante, puis les deux hommes la jetèrent dans une cellule et l'enfermèrent. Ils lui retirèrent tout ce qu'elle portait et lui donnèrent un maillot et un short jaune fluo, de façon à ce qu'elle soit voyante si elle parvenait à s'échapper.
-Vous sortirez demain, pour prendre le train en direction du Quartier Carcéral.
Elle frissonna. Le Quartier Carcéral, à coup sûr le plus peuplé de la ville : une prison gigantesque aux conditions de vie effroyables qui voyait mourir plus d'une centaine de personnes par jour. Elle ne connaissait qu'une seule personne qui avait purgé sa peine sans décéder. Mais parler à un résident d'un autre quartier lui coûterait sans surprise une peine à perpétuité.
En effet, pour écraser toute velléité de révolte, les dirigeants interdisaient formellement de communiquer aux résidents d'autres quartiers. Ainsi, chaque quartier était isolé du reste du monde, mis à part les rares nouvelles des déportés, peu nombreux, qui arrivaient de temps à autre dans le quartier. Elle avait d'abord pensé que le garçon en était un, mais s'il en était un, il aurait du posséder le médaillon du Quartier Vert clair (son quartier), les nouveaux arrivants en recevant un dès leur arrivée, tandis que le sien était bleu clair.
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Il scruta le couloir et observa le garde. Il était corpulent, une bosse dans son uniforme trahissait son arme, mais impossible de trouver la clef. C'est ce qu'il pensait. Mais bien sûr, il avait un plan de secours, bien préparé, comme d'habitude. Ce n'était pas son hobby de sauver les incarcérés, mais il avait une dette envers cette fille... et puis, quelque chose en lui lui criait de ne pas la laisser. Elle lui rappelait des moments heureux... avant « ça ». Et il devait bien avouer qu'elle était d'une beauté incomparable. Il savait tout, maintenant. Le garde effectuait sa ronde en un peu moins de deux minutes, c'est donc tout le temps qu'il avait pour la délivrer. Le garde passa devant lui, et il alluma la mèche.
Il se leva alors et sortit discrètement de sa cachette. Il se saisit d'un pied de biche et remercia le gouverneur de ne sécuriser que les bâtiments des villes riches. C'est grâce au mauvais entretien porté à cet établissement qu'il parvint enfin à faire basculer la dalle. Alors, la pire chose qui pouvait lui arriver... se produisit : la dalle tomba et s'écrasa au sol dans un fracas assourdissant, tandis que la mèche, longue, enflammait une poutre au passage. Il se retourna alors : elle était là.
Sans lui laisser le temps de se rendre compte de la situation, il la prit par les bras et l'entraîna hors de la cellule quand le garde se planta devant eux. Mais il avait prévu ça aussi : il sortit un pistolet rafistolé de sa poche et le pointa sur le policier. La jeune femme leva ses yeux vers lui et l'interrogea du regard. Le sien, assuré, répondit silencieusement à sa question. Non, il n'ignorait pas que ceux qui possédaient des yeux étranges comme ceux du commissaire étaient insensibles aux blessures normales.
Il tira tout de même. Contre toute attente, ce ne fut pas une balle, mais une étincelle qui vint frapper le garde à la poitrine, le faisant sursauter ; l'homme s'en remit vite, mais ils avaient disparu dans la fumée de l'incendie.
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Elle étouffait, mais elle continuait de suivre le garçon. Elle ne perdait pas espoir, malgré leurs chances infimes de s'en sortir, mais cet espoir fut réduit à néant par l'incendie qui se dressait entre eux et la sortie. Le garde surgit derrière eux tandis qu'une alarme stridente résonna dans le bâtiment. Soudain, une onde de choc surpuissante accompagnée d'une déflagration phénoménale les projeta hors du commissariat en flammes et débris. L'explosion dispersa les quelques habitants ameutés par l'incendie. Bizarrement, elle n'était pas blessée, mais la main du garçon relâcha la sienne. Un poids tira sur son corps et elle comprit qu'il s'était évanoui.
Elle essaya de le traîner mais n'y arriva pas. En relevant la tête, elle vit les gardes du Quartier Vert clair arriver en masse, comprenant qu'ils ne pourraient pas s'en sortir tous les deux. À regret, désolée pour ce garçon qui voulait la sauver, mais poussée par l'instinct de survie, elle échangea rapidement ses habits avec les siens et accrocha le badge bleu à sa nouvelle veste de sport. Elle lui jeta un dernier regard, se faisant une promesse intérieure, puis se mit à courir vers le Quartier Bleu clair...
Tout en courant, elle reprit peu à peu contenance. Pourquoi ce garçon l'avait-il sauvée ? Comment trouvait-il la force de mener une révolte à lui tout seul ? … Pourquoi l'avait-elle abandonné ? … Elle s'interrompit dans ses pensées en se rendant compte d'un détail qu'elle avait omis : le poste de passage. L'adrénaline quitta brusquement son corps, et elle sentit ses espoirs s'envoler en même temps que la fatigue l'assaillait... mais ce qu'elle vit lui donna assez de forces pour courir jusqu'au poste, entièrement vide. Même ces gardes-là avaient été réquisitionnés pour contrer l'incendie.
Elle franchit la barrière et se glissa entre les poteaux serrés. Le Quartier Bleu clair lui apparut comme une bouffée de liberté, bien que pas vraiment différent du sien...
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Autre ville, Quartier Rouge, secteur industriel :
Il entra dans l'usine qu'il connaissait maintenant par coeur, attendit que le scanner identifie son médaillon et se dirigea d'un pas rapide vers son poste de travail. Il s'installa et commença à vérifier le fonctionnement des machines depuis son ordinateur. Un autre des informaticiens, qu'il connaissait bien, lui apporta une clef USB, qu'il s'empressa de rentrer dans le lecteur.
Un remerciement silencieux du regard et son ami retourna d'où il venait. Lui consulta le dossier daté d'aujourd'hui :
Communication entre simulateurs optimale. Idem radiodiffusions. Amorçage visionneuse en cours. Les adaptateurs bloquent : observation majeure branchements effectuée.
Tout informaticien normal aurait vu le bilan de fonctionnement des machines, et aurait compris que les simulateurs communiquaient correctement ainsi que les radiodiffusions, que la visionneuse allait être mise en marche mais que les adaptateurs avaient un problème et qu'une observation était en cours.
Mais pas lui. Il n'était pas un informaticien normal. Il était résistant au régime, tout comme son ami, comme de nombreux autres gens dans le monde. Mais eux, contrairement aux autres, ils agissaient, et menaient dans la ville, avec quelques autres ouvriers, des attentats bien organisés. Il savait très bien qu'à l'échelle du monde, ça n'avait aucun impact, mais il ne pouvait pas supporter cette vie sans combattre.
En cette qualité de résistant, il parvenait à déchiffrer le message caché de ce document. Lui lisait :
Ce soir avec la bombe.
Ce code simple, qui consistait à prendre la première lettre de chaque mot, passait sous le nez des contrôleurs du commissariat puisqu'il était en plus camouflé en bilan de fonctionnement, bilan que les informaticiens devaient se transmettre, ce qui leur permettait de recevoir leurs informations sans être suspects.
Il avait attendu toute la journée avec impatience, et ce moment était venu. Faire sauter le commissariat, quand même, il fallait le faire ! Mais ils n'avaient pas froid aux yeux, et pour eux, cette vie était pire que la mort.
Tout en y pensant, il arriva au lieu de rendez-vous.
-T'as la bombe ?
La question venait d'un homme costaud au regard sombre.
-Ouais.
-T'es en retard !
-Tu sais dire autre chose que des reproches, toi ?!répliqua-t-il.
-Bon, les gars, on va pas se battre non plus, je vous rappelle qu'on est là pour faire sauter un bâtiment !
C'était son ami qui venait de parler d'une voix ferme et autoritaire. Il se sentait minuscule, avec tous ces hommes musclés autour de lui. À part son ami, personne ne le soutenait. Il était resté seulement parce qu'il savait fabriquer toutes sortes de bombes, et ils en avaient grandement besoin.
Chaque fois qu'il fabriquait, il ressentait un sentiment étrange, et était transporté dans ce qui restait de ses souvenirs du « bon temps ». Il fabriquait ses bombes électromagnétiques comme si il l'avait toujours fait, le mode d'emploi était imprimé dans son crâne. Ils avaient en effet découvert que les gardes étaient extrêmement sensibles aux chocs électriques, et ces bombes se révélaient être des atouts majeurs.
-Et toi, t'as ta bombe ?
-Bien sûr.
La bombe du dénommé Steph était tout à fait normale, et ne devait servir qu'à détruire le commissariat. Fabriquée à partir de matériaux de récupération, elle était tout de même dévastatrice.
Il s'engagea à son tour dans l'ouverture étroite et s'avança pas à pas dans le tunnel nauséabond.
-Y avait pas autre chose que les égouts ?
-Non. Je te jure, j'ai cherché !
-Arrête de te plaindre, fit une des voix bourrues.
-Laisse-le tranquille, Steph ! Accélère au lieu de causer !
Et on penserait encore qu'il ne pouvait pas se défendre tout seul... Il était aussi le plus petit de la bande, mais, à 17 ans, comme tous les plus de 16 ans, il devait travailler. Il avait évidemment choisi le secteur informatique, et c'est parce qu'un des membres lui avait distribué un message par erreur qu'il avait rejoint le groupe.
Il avait planché dessus toute la nuit, pour enfin trouver le code si simple, et avait lui-même fabriqué la bombe demandée avant de se rendre au rendez-vous. Son ami, le chef de la bande, l'avait accepté pour ses talents en mécanique comme en informatique.
Un garçon nommé Vincent déboucha à l'angle du couloir.
-C'est bon, la bombe est en place.
-Allume !ordonna son ami.
Il s'exécuta. Un léger vrombissement se fit entendre, puis une onde électromagnétique parcourut les murs et électrocuta tous les gardes qui se trouvaient au-dessus d'eux.
-Courez !
Ils obéirent et rallièrent en toute hâte la sortie des égouts, juste à tant pour voir l'explosion spectaculaire qui s'offrait à eux. Encore une fois, ils avaient réussi.
Sans plus attendre, ils coururent jusqu'au commissariat pour voler tout ce qui n'avait pas été détruit...
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Maintenant, elle se détendait et marchait dans les ruelles, regardant tout de même avant de s'engager dans l'une d'elles. Elle jeta un coup d'oeil aux immeubles qui l'entouraient et fut surprise de voir que certains habitants avaient les moyens de s'acheter des fleurs pour cacher la sobriété et le gris morne de leurs maisons. Le Quartier Bleu clair était proche de la centrale électrique, ce qui expliquait que certaines personnes aient ici des métiers plus avantageux que dans le Quartier Vert clair.
Ses pensées se tournèrent vers le garçon... elle n'avait même pas eu le temps de lui demander son nom... mais...
Elle observa attentivement le médaillon et décela l'inscription gravée en minuscules caractères en haut : Ulrich Stern. Ce nom... il lui rappelait encore cette époque...
-Ulrich... je ne vais pas te laisser...
Elle sentait qu'elle l'avait connu antérieurement, mais son souvenir était enfoui au plus profond de son inconscient. Elle soupira en songeant à celui qu'elle avait abandonné.
Ne supportant plus de marcher, elle s'écroula de fatigue sous un porche. Elle se retourna et rentra dans le bâtiment.
-Si c'est pareil ici...
Elle se dirigea vers une porte marquée d'une tête de mort et d'un éclair. Ce symbole, au lieu de l'effrayer, confirma son idée et la poussa à entrer. Ici, personne ne viendrait la chercher jusqu'à ce qu'elle sache quoi faire. Pas dans la cave, qui ne présentait pas d'autre intérêt que la chaudière et l'alimentation électrique...
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Autre endroit, loin des villes :
Il dormait à moitié, mais fut alerté par le grondement d'un moteur.
-Encore, maugréa la voix, plutôt féminine pour un garçon.
Il cacha rapidement tout ce qui pouvait trahir sa présence et sauta en toute hâte par sa « fenêtre ». Il s'allongea dans le fossé, juste quand le 4x4 passait à sa hauteur. Les soldats inspectèrent à la va-vite les branchages qui se trouvaient au bord de la route, mais eurent tôt fait de repartir, ne repérant aucun signe de vie.
Il attendit encore quelques secondes, puis remonta la pente et se glissa à nouveau dans sa cabane de fortune. Par un heureux miracle, lors de la mise en place de l'Etat Mondial, il avait échappé à la « moisson » de la population. Il s'était installé là, dans une zone maintenant abandonnée, hormis les camionnettes de soldats et autres convois, refusant de rejoindre une ville sous peine d'être opprimé.
Il se nourrissait grâce aux ressources de la forêt qui se trouvaient toute proche et avait à sa disposition un ruisseau qui y coulait. Il n'avait pas oublié le temps où il était scout, bien qu'il n'aurait jamais pensé que cela lui servirait.
Il se rappela soudain de ce qu'il avait ramassé ce matin. Il prit l'alliage de métal, quelques branches, des élastiques et des clous et se mit au travail...
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Autre ville, Quartier Violet :
Elle travaillait sur sa machine depuis des mois, et avait enfin fini. L'euphorie l'envahit quand elle admira son « oeuvre » achevée. En apparence, ce n'était qu'un ventilateur, mais c'était un camouflage destiné à déjouer les perquisitions fréquentes des policiers. En vérité, sa machine devait servir à intercepter les communications et à dérégler, voire contrôler les appareils électroniques.
On toqua à sa porte. Méfiante, elle regarda par une caméra bon marché qu'elle avait placé au-dessus de la celle-ci et manqua de tomber à la renverse. Les coups se firent plus pressants.
Elle courut jusqu'à sa cuisine et se saisit d'un long couteau, mais le reposa après une brève réflexion puis souleva la lampe qui se trouvait dedans. Elle ôta l'abat-jour et ouvrit la porte en cachant l'arme improvisée dans son dos.
-Que se passe-t-il ?demanda-t-elle innocemment.
-Vous échangez des objets avec d'autres résidents. C'est totalement illégal. Suivez-nous !
Refusant de se soumettre, elle éclata l'ampoule sur la tête du garde, et les fils dénudés l'électrocutèrent. Le second tira. Elle était déjà entrain d'abattre la lampe quand la balle la toucha à l'épaule. La douleur se fit sentir dès qu'elle eut assommé le deuxième garde.
Elle s'empara de sa machine et dévala les escaliers à toute vitesse. Elle se précipita dans la rue et déposa la machine sur le pas d'une porte au hasard, en espérant que celui ou celle qui la recevrait saurait s'en servir, et surtout voudrait s'en servir, à bon escient.
Elle détala ensuite, mais entrevit quand même le visage du garçon aux cheveux noirs de jais qui ramassa sa machine, le regard intrigué. Il la vit et s'avança pour venir l'aider, mais comprit par son regard qu'il valait mieux qu'il la laisse. Il hésita un instant, mais quand elle reçu une nouvelle balle dans la jambe, il rentra en hâte, ne pouvant se mesurer aux gardes.
En partie soulagée, elle porta son regard sur le garde qui venait de l'empêcher de courir, depuis la fenêtre du bâtiment, quand le second en sortit et la plaqua au sol pour lui passer les menottes et la bâillonner. Tout en se débattant, elle sut, sans comprendre pourquoi, ce qui allait suivre. Elle vit la main du policier libérer une gerbe d'étincelles rosées, comme elle l'avait prévu, puis s'évanouit.
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Il avait vu l'espace d'un instant un policier, et il était rentré en toute hâte en prenant bien soin de refermer la porte à triple tour. Quand il se calma enfin, il repensa à cette fille et posa les yeux sur l'engin étrange... quoique ce n'était rien de plus qu'un ventilateur. À part le fait que cet appareil était destiné aux personnes richissimes... il se rendit une fois de plus compte du radical changement qui s'était opéré : un ventilateur, réservé aux riches. Il soupira.
Même s'il avait une grande valeur, cette fille n'aurait pas risqué sa vie et préféré que l'appareil soit gardé secret plutôt qu'on lui sauve la vie. Il en parvint à la conclusion que ce ventilateur cachait quelque chose d'extrêmement important. Il l'observa sous tous les angles et le palpa partout mais ne trouva rien.
Il essaya, en désespoir de cause, de le brancher et constata, sidéré, que c'était un ventilateur tout à fait banal qui créait un air frais, mais il enfonça accidentellement un bouton sur la prise en le débranchant. Sentant son doigt pousser, il stoppa son geste, puis sursauta quand l'appareil émit un bruit de ressort. Il se retourna vivement et prit la plaque de plastique en plein visage.
Il jura puis s'approcha, et vit le cadran dégagé par le ressort.
Il essaya quelques boutons, l'appareil émit un chuintement avant que ses diodes se mettent à clignoter. Il se demanda avec anxiété ce qu'il venait de faire...
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Autre ville, Quartier Vert, commissariat :
Elle se réveilla dans la cellule du commissariat. Elle ne se souvenait plus du pourquoi ni du comment de son arrestation, bien qu'assez fréquemment, les arrestations n'avaient aucun motif. Elle avait été tirée de son sommeil par des ordres crachés par les haut-parleurs du bâtiment. D'après ce qu'elle comprenait, les systèmes de sécurité et électronique avaient été déréglés. La panique régnait dans le commissariat, qui ne pouvait plus gérer les échanges du quartier ni communiquer aux policiers disséminés dans celui-ci.
Après quelques heures passées dans ce désordre, elle entendit les haut-parleurs cracher le rétablissement des communications.
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Le commissaire, rasséréné par le rétablissement, déchanta quand il vit les transmissions. La population, ayant constaté la soudaine incapacité des gardes, avait mené un assaut qui avait démuni le quartier de tout contrôle. On força la porte du bureau, et un flot de personnes s'engouffra dans l'étroite pièce, écrasant le commissaire.