01 Avr 2015, 11:07 par RECEPTOR
Yumi referma le cahier vert. Sur sa couverture, une banale étiquette indiquait "Ulrich Stern", de la même écriture serrée que ce qu'elle venait de lire. Yumi tremblait. Des larmes venaient aux coins de ses yeux bridés.
Yumi regarda autour d'elle. Elle réalisa qu'elle avait dépassé sa destination depuis longtemps. Elle avait marché sans prêter attention au monde qui l'entourait : la ville s'était effacée sous ses pensées pluvieuses. Elle était arrivée devant la vielle usine, sans même se rendre compte que ses pieds l'y avaient menée, tel un réflexe. Dix ans étaient passés, mais elle tenait toujours en place, déployant sa carcasse au beau milieu de la rivière. Yumi rangea fébrilement le cahier vert dans son sac à dos noir et s'écarta de la où elle était, comme si elle avait peur d'être vue. Elle jeta un coup d’œil autour d'elle, rajusta son pull et s'élança sur la passerelle. « Quelle idée j'ai eu de revenir dans cette ville... » pensa-t-elle, tandis qu'elle courrait presque vers la grande porte de l'usine. En arrivant devant la porte, elle essuya ses larmes d'un geste vif et poussa la poignée. Tout d'abord, la porte ne voulu pas coulisser, puis dans un crissement de métal assourdissant, elle s'ouvrit d'un coup, dévoilant son estomac gigantesque à une Yumi hallucinée d'être encore ici, après toutes ces années.
La belle japonaise hésita un instant devant l'entrée béante. Elle se retourna et regarda l'autre bout de la passerelle. Personne. Elle se serait presque attendue à les voir, ici, avec elle, excités à l'idée de bouter Xana hors de Lyoko. Au lieu de ça, il ne restait que leur absence. Le bout de la passerelle était vide, on entendait que les vibrations des câbles en aciers. Elle fit un pas à l'intérieur. Le froid qui régnait lui glaça les sangs. Un frisson la parcouru. Son cœur battait la chamade. Elle s'avança et tendit la main pour attraper la vieille corde, mais qu'elle ne fut pas sa surprise quand elle découvrit qu'une échelle avait été placée pour descendre sans danger. Yumi posa doucement son pied droit sur le premier barreau, puis son pied gauche ; et, testant la solidité des échelons, elle ébaucha un léger saut. Le barreau tint, et elle poursuit sa descente. C'est alors qu'elle l'entendit : un chien aboyait depuis les sous sols. Elle se jeta dans l'ascenseur et cogna sur le bouton de toutes ses forces. La cage de métal ne bougea pas. Yumi regarda les quatre murs de l'ascenseur, et vit un petit boîtier. En l'ouvrant, elle constata qu'il contenait un clavier numérique. Pendant quelques instants, elle resta immobile, les yeux fermés, cherchant dans sa tête le souvenir de ce boîtier. Le code lui revint, limpide. Le chien aboya à nouveau, tandis que l'ascenseur arrivait à l'étage immédiatement en dessous.
Les doubles portes s'ouvrirent dans un éclair blanc. Yumi resta au fond de la cabine quelques instants, mais comme elle n'entendait plus un bruit, elle s'avança dans la pièce. Jérémy n'était pas assis dans le fauteuil au pupitre du super-calculateur, Ulrich et Odd ne frimaient pas à propos de leurs exploits et aucun retour dans le passé n'allait être programmé. Un goût amer se répandit dans la bouche de Yumi. L'appareil était éteint, définitivement. Le chien aboya encore, cette fois-ci juste à côté d'elle et Yumi eut un haut-le-cœur. Elle se retourna d'un bond et lança sa jambe derrière elle. Son pied rencontra quelque chose de dur, puis elle entendit un gémissement. Elle regarda par dessus son épaule, confuse. Au sol, elle vit un grand homme au cheveux blonds foncés d'approximativement 24 ans, qui devait se cacher ici depuis quelques temps, puisque Yumi pouvait distinguer un lit de camp au fond de la pièce. Il semblait un peu sonné, mais marmonnait des mots dans son sommeil. Elle se pencha sur lui et détailla son visage. A cet instant, le chien qu'elle avait entendue aboyer sorti de sous le lit de camp en un éclair et se jeta sur elle. Yumi voulu le repousser, mais sans succès. L'animal n'était pas méchant, et il lui lécha le visage. C'était un vieux chien, mais il était solide. Yumi entreprit de s'occuper de son maître qu'elle avait assommé. Elle tenta de le réveiller en l'appelant, puis en lui pinçant la joue, et finalement elle le frappa. L'homme se réveilla, hagard, et chercha qui l'avait assommé. Il regarda rapidement Yumi, et se détourna, elle ne pouvait pas l'avoir fait tomber, elle était trop fluette !
_Hey, qu'est-ce-que tu fais ? Lança-t-elle.
_Je cherche mon agresseur, il doit bien être encore par ici. Kiwi, va la garder !
Le chien s'avança docilement vers Yumi, et s'assit devant ses pieds. Yumi baissa la tête vers le chien, bouche bée.
_Comment tu l'as appelé ce chien ?
_Kiwi, c'est son nom. C'est toi qui m'a assommé ? L'homme s'éloigna derrière le pupitre du super calculateur.
_Oui. Désolée, j'ai cru que j'allais être attaquée.
_Tu as de bons réflexes ! Mais là n'est pas la question, tu n'es pas la bienvenue ici. Kiwi, au pied.
Le chien bondit vers son maître. Yumi resta là, ses jambes tremblaient, mais elle n'avait pas l'intention de partir. L'homme se cachait derrière la console, dans le noir, son chien grognant entre ses jambes.
_Tu m'as entendue, va-t-en. Lâcha-t-il.
_Non, je ne partirais pas, cet endroit n'est pas à toi. Cracha-t-elle. Et d'abord, d'où il sort ton chien ?
_Je l'ai toujours eu.
_Odd ! C'est pas possible, c'est toi ?
L'homme ne bougea pas. Pendant quelques secondes, Yumi cru s'être trompée, mais il fini par sortir, et s'arrêta devant elle. Il mesurait un mètre quatre-vingt au moins, et était assez fin. Il était vêtu d'un vieux jean tout décoloré troué au deux genoux et d'un pull noirs aux élastiques détendus. Ses cheveux tombaient tristement devant ses yeux sables, et sa bouche ne souriait pas. Il la dévisagea une bonne minute, puis fini par dire :
_Yumi, tu as beaucoup changée. Je t'avouerai que j'aurai préféré que tu ne me reconnaisses pas, ou bien ne pas te reconnaître.
_Tu n'aurai pas du nommer ton chien, dit-elle en esquissant un sourire.
Voyant qu'Odd ne le lui rendait pas, elle baissa la tête. Elle sentait une boule dans sa cage thoracique. Elle avait envie de fondre en larmes, ou bien de tout détruire. Elle ne savait plus très bien ce qu'elle faisait là, ni pourquoi elle avait tenu à ce point à revenir dans cette ville malgré que Tout le Mal soit arrivé. Yumi regarda ses pieds pendant un instant, puis elle redressa la tête et lança un regard à Odd. Il avait l'air tellement seul. Elle se détourna rapidement et parti vers l'échelle qui menait à la salle des scanners. Elle hésita à regarder encore une fois Odd, mais préféra descendre sans se retourner.
La salle n'était pas éclairée non plus. Yumi regarda l'obscurité, mais alors qu'elle tendait les bras dans le noir pour avancer, la lumière brilla. Elle vit alors que les scanners étaient intacts. L'un d'eux semblait cependant différent. Yumi s'approcha pour regarder ce qui avait attiré son attention. L'interstice entre les deux panneaux coulissants de la porte semblait recouvert de marques, comme si quelqu'un avait essayé de l'ouvrir… En la griffant ? Elle passa ses doigts sur les rainures, pensive. Elle regarda autour d'elle puis repris l'échelle pour descendre encore.
Le supercalculateur était là, noirci et recouvert de déchets. Il était éteint, définitivement, lui aussi. Un bruit attira son attention. Odd était descendu.
_Il s'est passé quoi, Odd ? Pourquoi tu es ici ?
_Je sais plus trop où j'en suis en fait là, tu vois ? Il leva le bras pour s'attraper la nuque d'un air gêné.
Il se laissa glisser sur le sol, les cheveux devant les yeux à nouveau, abattu. Yumi s'approcha, voulu lui toucher le bras, puis se ravisa et s'assit à côté de lui. La tête entre les mains, elle murmura :
_J'aimerai bien revenir en arrière. Avant que tout ce bordel ne soit arrivé. Raconte Odd, allez !
_Quand on a coupé le supercalculateur, on croyait tous s'embarquer dans une nouvelle vie, une vie mieux qu'avant, qui ne soit pas une vie de Lyoko Guerrier fous de combats et d'action mais une vie normale, où les choses qu'on fait ne sont pas des secrets dangereux… Finalement, c'était prévisible ce qui est arrivé.
_C'est-à-dire ? Je te signale que j'ai quitté Kadic pour le Japon l'année qui a suivie.
_Je sais bien. Nous nous sommes souvent dit que tu nous aurait sauvés dans bien des cas… Jérémy avait créé ce logiciel pour anéantir Xana. Un machin multi-agent, tu te souviens ?
_Oui, je me rappelle. C'est le jour où nous avons tué le Koloss.
_Aussi celui où Aelita a perdu son père à jamais.
_C'est vrai.
_Bref. Le père d'Aelita, lui, avait créé Xana, un logiciel du même genre, pour le protéger lui et sa fille dans Lyoko. Mais ce truc s'est retourné contre eux, comme la boue gluante que Jeremy nous avait envoyé aussi.
_Je me rappelle oui, ce truc était affreux !
_Et bien le logiciel multi-agent de Jeremy qui a éradiqué Xana en a profité pour copier certains de ses fichiers, et lorsque le supercalculateur a été éteint, ils ont en quelque sorte… Fusionnés. Il y a eu un bug, je serais bien incapable de te l'expliquer mieux.
_Tu veux dire que le truc de Jeremy vous a attaqué après ?
_Oui, et il ne se comportait pas comme Xana. Il était plus évolué. Il était plus intelligent. Je dirais même qu'il était plus humain, d'une certaine façon. Il…
La voix d'Odd disparu dans un hoquet. Il soupira, souffla, se frotta le visage. Yumi le dévisagea, intriguée.
_Il nous a montré des choses. Nous avons vu. Et après, rien n'a plus jamais été pareil.
Yumi ravala sa salive avec difficulté. Elle tenta de mettre les pièces du puzzle en place.
_Et bien que le super-calculateur soit éteint, ce truc vous a... Commença-t-elle.
_En fait, Aelita l'a rallumé peu de temps avant qu'on ne quitte le lycée. Elle voulait y retourner avant de quitter Kadik je crois. On n'a pas pu lui en vouloir, mais je crois qu'elle s'en voulait beaucoup d'avoir rallumé ce monstre.
_Mais ça ne m'explique pas ce que toi tu fais là.
_Je garde le supercalculateur pour empêcher qui que ce soit de l'allumer. En fait, cette fois-ci, ça ne s'est pas passé comme on le prévoyait. On pensait qu'on allait réussir à désamorcer le virus de Jeremy, mais on a échoué. Tout a été tellement rapide... Odd s'agrippa une mèche de cheveux en parlant. Il étouffa un sanglot, puis poursuivi : Cette merde nous a fichus en l'air les uns après les autres. Ulrich était vraiment secoué, toi au Japon et ces images qui nous tuaient la tête !
_Je sais, j'ai bien eu le temps de le remarquer. Tu sais, je suis revenue en France pour commencer mes études à la FAC après. On est sorti ensemble un temps. Il ne m'a rien raconté du tout. Et s'il a eu des contacts avec vous à cette époque, je ne l'ai jamais su. Quand on s'est séparés, il m'a laissé son journal intime.
_ Il tenait à toi s'il ne t'as rien dit. C'était bien son truc, ça, de tout garder pour lui. Même "ça".
_Tout Le Mal ?
_C'est comme ça que disait Ulrich oui. Je crois qu'on a tous été brisés ici. Et puis il y a eu notre dernière mission. Je ne sais pas comment te décrire ça... ç'a été un massacre. Je crois qu'on a découvert la puissance de cette merde à ce moment là, que tout ce qu'on avait vu avant, c'était rien. 4 mois de torture mentale à essayer de s'en sortir, de le détruire, de sauver Lyoko... On était éreintés, mauvais à l'école, on a perdu tout ce qui faisait de nous des êtres uniques... Cette chose nous a manipulés Yumi. Nous nous sommes blessés les uns les autres, au début c'était léger, puis ça a fini par être des images abominables dans nos têtes, des agressions contre nous, des événements étranges, des trucs qui retournent le bide...
Yumi écouta Odd lui expliquer comment, lors de la dernière mission, ils leur avait fallu prendre rapidement une décision pour vivre ou mourir. Aelita s'était sacrifiée, et le supercalculateur avait été éteint. Ils avaient pu voir Aelita réussir à contenir le virus dans Lyoko. Ils avaient cru que le plan allait marcher jusqu'au bout, et qu'Aelita allait pouvoir remonter saine et sauve, mais la chose que Jeremy avait créé était trop puissante. Aelita s'était arrêtée de vivre. Ensuite... Odd renifla, se leva, puis se tourna vers Yumi et lui dit qu'ensuite, Ulrich est parti la retrouver à Paris, et que lui et Jeremy sont restés à Kadik, malheureux, incapables de tourner la page. Un jour, Jeremy a disparu. Depuis, Odd est resté ici, attendant peut-être qu'il revienne.
_Et vous n'avez plus eu d'ennuis avec le virus ?
_Non, plus du tout. Mais Aelita est morte et Jeremy a disparu.
_Jeremy ne pourrait pas être parti sur Lyoko ?
_C'était pas son style. Il n'y est allé qu'une fois, et il a eu très peur. Je ne pense pas qu'il y soit retourné. En plus ça voudrait dire qu'il aurait rallumé le supercalculateur. Ce qui me semble aussi une très mauvaise idée.
_Pourtant nous allons le faire. Lança Yumi.
_Tu es malade ? Je ne te laisserai pas faire ça ! Odd se jeta sur elle, alors qu'elle s'approchait de l'engin pour en actionner la poignée.
_Moi aussi je veux pouvoir me battre pour mes amis Odd ! Hurla-t-elle. Il la pris contre elle et la serra fort. Elle pleurait. Lui aussi.
_Et les scanners, ils marchent ? Pourquoi y'en a un qui est fermé ?
_Je crois qu'ils marchent oui, mais il y'en a un hors service. J'ai tenté de l'ouvrir mais pas moyen. Kiwi y avait flairé quelque chose, il a passé des mois à gratter la porte. Je ne sais pas ce qui l'obsédait à ce point.
_Odd, tu ne crois pas qu'on devrait allumer le supercalculateur pour pouvoir ouvrir les scanners ?
_C'est logique, mais je ne l'ai pas fait, alors tu ne le feras pas.
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RECEPTOR le 21 Fév 2016, 20:13, édité 5 fois.